Galaad et le Roi Pêcheur
dit à la jeune fille : « Mène-moi où tu voudras, je te suivrai où il te plaira d’aller. » Elle partit de toute la vitesse de sa mule, et, comme son voile s’était retroussé, Galaad s’aperçut qu’elle était complètement chauve. Du reste, tout vif qu’était son propre cheval, il peinait à suivre la mule, tant celle-ci allait bon train à travers landes et forêts. Ils chevauchèrent ainsi toute la journée sans s’arrêter un instant, sans manger ni boire.
Le soir, ils arrivèrent à une forteresse qui, bâtie dans une vallée verdoyante, était ceinte de bonnes murailles et entourée de profonds fossés. La demoiselle chauve y pénétra, suivie de Galaad, et tous les gens de la forteresse disaient : « Dame ! sois la bienvenue ! » et lui faisaient fête comme à leur souveraine. Elle leur commanda de bien accueillir le chevalier le plus vaillant du monde, son compagnon, et ils le désarmèrent aussitôt avant de le conduire dans une salle où les tables avaient été dressées pour le repas. Quand ils eurent fini de se restaurer, on emmena Galaad dans une chambre. « Demoiselle, dit-il à la jeune fille chauve, resterons-nous ici toute la nuit ? – Non pas, répondit-elle. Repose-toi quelques heures ; nous nous remettrons en route avant le milieu de la nuit. » Galaad ne dit rien. Il se coucha et s’endormit aussitôt.
Vers la minuit, la jeune fille vint le réveiller. On apporta des torches et des chandelles pour l’éclairer pendant qu’il endossait ses armes et, quand il fut prêt, on lui amena son cheval tout sellé et sanglé. Alors, sans plus attendre, Galaad et la jeune fille repartirent dans la nuit, lui sur son cheval, elle sur sa mule. Aux premières lueurs de l’aube, ils arrivèrent à l’embouchure d’une grande rivière qui s’ouvrait largement sur la mer. Près du rivage, se balançait une nef toute recouverte de soie blanche et, à bord, deux hommes s’écrièrent en voyant Galaad : « Seigneur ! sois le bienvenu ! Nous t’avons tant attendu que, Dieu merci, tu es enfin là ! »
La demoiselle chauve arrêta sa mule et dit à Galaad : « Chevalier, c’est ici que nous allons nous séparer. Va rejoindre dans cette nef ceux qui t’attendent. Tu me laisseras ton cheval ; sois sûr que j’en prendrai grand soin. » Galaad sauta à terre, suspendit son bouclier à son col et s’avança vers l’eau. La nef était toute proche, et le courant semblait la porter vers la rive. Galaad salua la jeune fille, se traça au front le signe de la croix et, d’un bond, embarqua sans hésiter. Aussitôt, la nef reprit son élan et cingla vers le grand large à toute vitesse. Galaad reconnut alors en ses compagnons de navigation Bohort et Perceval. Ils lui firent le meilleur accueil, et tous trois pleurèrent de joie de s’être retrouvés.
Galaad ôta son heaume, déposa son épée sur le pont mais ne voulut point retirer son haubert. Puis, il demanda à ses compagnons s’ils connaissaient l’origine de cette nef si belle au-dehors comme au-dedans, et qui naviguait sans pilote. Bohort avoua l’ignorer, et Perceval conta comment il l’avait vue arriver alors qu’il se désespérait sur son île, encore meurtri par la blessure qu’il s’était lui-même infligée. « Quant à toi, reprit-il à l’adresse de Galaad, dis-nous donc qui était cette jeune fille qui t’a mené jusqu’à nous. – Je l’ignore, dit Galaad ; tout ce que je puis dire, c’est qu’elle a, semble-t-il, perdu tous ses cheveux. – Ah ! s’écria Perceval, la Demoiselle Chauve ! je la connais bien. Sachez qu’elle est ma cousine Onnen. C’est elle qui, la première, m’a parlé des mystères du saint Graal et m’a reproché de n’avoir pas posé de question lors de ma visite chez le Roi Pêcheur. C’est elle également qui m’a permis de découvrir le lac Cotoatre et la résidence du forgeron Govannon, seul capable de réparer mon épée brisée. Et c’est encore elle qui a soigné Lancelot après que je l’eus attaqué sans le reconnaître. » Bohort dit alors à Galaad : « Ami, si Lancelot, ton père, se trouvait parmi nous, je crois que plus rien ne nous manquerait. – Il ne peut être avec nous, répondit Galaad, Dieu ne le veut pas. »
La nef voguait désormais en haute mer. « Où allons-nous ainsi ? dit tout à coup Bohort. – Où Dieu veut que nous allions ! » répondit une voix de femme. Ils se retournèrent tous trois et aperçurent une
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