Galaad et le Roi Pêcheur
que la mort. »
Ce discours émerveilla les trois compagnons. Ils ne pouvaient croire qu’un homme eût pu vivre si longtemps sans manger ni boire. Bohort et Perceval demandèrent à Galaad : « Qu’allons-nous faire de cet homme ? Nous pourrions le porter jusqu’à notre nef et l’emmener dans un pays qui l’accueillerait. – Non, répondit fermement Galaad. Il ne peut entrer dans notre nef, il est trop chargé de péchés. Si Dieu a jugé juste un tel châtiment, c’est que cet homme a perpétré de trop graves crimes pour obtenir son pardon. Il ne nous a probablement dit qu’une partie de la vérité. Respectons la justice de Dieu et poursuivons notre route. – Tu as raison, dirent ensemble Bohort et Perceval. Il sera sauvé quand Dieu en décidera, cela ne nous concerne pas. » {42}
Le laissant donc où il était, assis entre les deux arbres, ils redescendirent vers le rivage, se hissèrent à bord et racontèrent à Lawri ce qu’ils avaient vu et entendu sur la roche. Cependant, quand ils eurent levé l’ancre et que le vent les eut éloignés de l’île, ils se mirent à prier, tant afin que Dieu pardonnât au vieillard que pour qu’il les menât au terme de leur aventure {43} .
La nef courut sur les vagues tout le reste de la journée et la nuit entière. Au matin suivant, ils arrivèrent en vue d’une île sauvage, si bien cachée entre deux rochers, au fond d’un golfe, que c’était merveille et ils aperçurent une autre nef, mouillée de l’autre côté, dans une crique si étroite qu’on n’y pouvait accéder qu’à pied. « Amis, dit la sœur de Perceval, en cette nef est l’aventure pour laquelle Dieu vous a réunis. Il convient donc de la rejoindre. » Les trois compagnons sautèrent sur le rivage, aidèrent Lawri à descendre, amarrèrent leur bateau pour que le flot ne l’entraînât pas. Quand ils furent sur l’un des rochers, ils le contournèrent par un étroit sentier et parvinrent à la crique où se trouvait l’autre navire. Il était bien plus splendide que celui qu’ils venaient de quitter, mais à leur grande surprise, il semblait désert. S’étant approchés pour mieux voir, ils découvrirent sur le plat-bord une inscription qui disait : « Toi qui prétends monter à mon bord, qui que tu sois, prends garde de n’être alourdi par aucune faute, car je sombrerais immédiatement. »
Ils se regardèrent les uns les autres, fort perplexes quant à ce qu’il convenait de faire. Mais la sœur de Perceval prit la parole : « Je vous avais dit que je savais beaucoup de choses et ne vous les révélerais que le moment venu. Je vous avertis donc que si vous n’avez pas déchargé votre âme de toutes les fautes que vous avez pu commettre, vous ne pouvez pas monter sur cette nef : vous y péririez immédiatement. Car cette nef est si sainte et si sacrée que nul n’y peut demeurer s’il est entaché d’un quelconque défaut. » Perceval s’écria : « Ma sœur ! j’y entrerai ! Et sais-tu pourquoi ? Parce que, si je suis pécheur, je veux périr misérablement. Mais si je suis allégé de toutes mes fautes, je serai sauvé. – Entre donc dans la nef, dit Lawri, et que Dieu te protège ! »
Il se dirigeait vers le navire quand Galaad, qui les avait tous hardiment précédés, leva la main, se signa, monta à bord et se mit à examiner les entours. Lawri embarqua à son tour, après s’être signée. Perceval alors rejoignit sa sœur et lui prit la main. Quant à Bohort, il hésita un long moment puis, se décidant, bondit et retrouva ses compagnons. Après avoir visité jusqu’en ses recoins la nef merveilleuse, ils la déclarèrent unanimement la plus belle qu’ils eussent jamais eu l’occasion de voir. Or, tandis qu’ils la parcouraient, ils découvrirent un drap magnifique étendu en guise de courtine au-dessus d’un lit d’une extraordinaire splendeur. Galaad avança la main, souleva le drap et aperçut alors la plus belle couche du monde. À son chevet reposait une riche couronne d’or, et, à son pied, étincelait une épée tirée d’un bon demi-pied hors de son fourreau, et sur la poignée de laquelle tous purent lire une inscription qui disait : « Je suis merveille à voir et à connaître, car jamais nul ne put m’empoigner, si grande fût sa main, et nul ne le fera jamais, à l’exception d’un seul. Car celui-là surpassera tous ceux qui l’auront précédé et tous ceux qui lui succéderont. »
« Par Dieu
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