Galaad et le Roi Pêcheur
conduira à travers tous les dangers. »
Là-dessus, ils virent arriver par la grande rue une dizaine de chevaliers armés qui leur enjoignirent de se rendre immédiatement s’ils désiraient demeurer en vie. « Nous n’avons nulle l’intention de nous rendre ! répliqua Bohort. Ne sommes-nous pas libres d’aller où bon nous semble ? – Dans ce cas, vous êtes perdus ! » s’écrièrent les chevaliers qui éperonnèrent leurs chevaux et, la lance en avant, s’apprêtèrent à les pourfendre. Mais, tranquillement, Bohort, Galaad et Perceval tirèrent leurs épées et, tout démontés qu’ils étaient, attendirent de pied ferme ceux qui osaient les attaquer, au mépris de toutes les règles de la chevalerie. Perceval en jeta un à terre et lui prit son cheval, Galaad en fit autant de son côté, puis tous deux se ruèrent sur leurs adversaires, en abattirent un autre dont le cheval échut tout de suite à Bohort. À se voir si rudement malmenés, les autres prirent la fuite, poursuivis par les trois compagnons qui forcèrent ainsi l’entrée de la grande tour.
Les fuyards, alors, firent irruption dans la salle où d’autres chevaliers et des sergents étaient en train de s’armer ; les trois compagnons y pénétrèrent à leur tour, à cheval toujours et, piquant des deux, lame au clair, se ruèrent sur tous ces gens et les abattirent comme des bêtes. Et certains eurent beau résister de leur mieux, finalement la débandade fut générale, car Galaad avait massacré tant des leurs que les survivants, loin de le prendre pour un mortel, le croyaient bien plutôt l’Ennemi, lui-même surgi de l’Enfer pour les anéantir. De sorte que d’aucuns s’engouffrèrent dans les caves, tandis que d’autres se jetaient par les fenêtres, mais tous se rompirent le cou, les bras ou les jambes.
Quand les trois compagnons virent la tour débarrassée de leurs ennemis, ils regardèrent les corps qui jonchaient le sol. « Certes, dit Bohort, je ne crois pas qu’il s’agît de chrétiens, car pour les avoir de la sorte abandonnés à notre fureur, Notre Seigneur ne devait guère les aimer ! Ce devaient être des mécréants de la pire espèce, renégats ou blasphémateurs, enfin si coupables envers Dieu qu’il a voulu leur mort et nous a envoyés pour les détruire ! – Tu n’en dis pas assez ! corrigea Galaad. S’ils ont méfait envers Notre Seigneur, la vengeance n’en était pas à nous mais à celui qui attend des pécheurs les plus endurcis qu’ils avouent leurs fautes. Je ne me sentirai vraiment à l’aise que je n’aie appris ce qu’il en était de ceux-ci. »
Il avait à peine achevé que sortit d’une chambre un homme vêtu d’un habit de prêtre. Lorsqu’il aperçut tous les morts épars dans la salle, il en fut ébahi et recula, ne sachant que faire. Or Galaad, ayant d’emblée compris qui il était et quelle peur l’avait saisi, retira son heaume et fit signe à ses compagnons de se tenir tranquilles. Puis il s’approcha du prêtre et dit : « Seigneur, de quoi as-tu peur ? Nous ne sommes pas des meurtriers, et tu n’as rien à craindre de notre part ! – Qui êtes-vous ? » demanda le prêtre. Galaad répondit que ses deux compagnons et lui-même appartenaient à la maison du roi Arthur et qu’ils s’étaient engagés, sous serment, à accomplir la quête du saint Graal, quoi qu’il pût leur arriver. À ces mots, le prêtre parut rassuré et, s’asseyant, s’informa de ce qui s’était passé, non sans s’étonner que tant de chevaliers eussent été tués. Galaad lui conta leur arrivée dans le port, leur entrée dans la forteresse, la vile façon dont on les avait assaillis, puis la tournure du combat qui, cela se voyait assez, avait vu la déconfiture des agresseurs. Le prêtre lui dit alors : « Sache-le, vous avez accompli là la meilleure action qu’aient jamais accomplie chevaliers. Il n’y avait pas, sur cette terre, d’hommes plus hostiles à Notre Seigneur que les trois frères qui tenaient cette forteresse, et leur déloyauté l’emportait même sur celle des Sarrasins. – Seigneur, interrompit Galaad, je me repentais fort de m’être laissé entraîner à les tuer, car je les croyais chrétiens. – Loin de t’en repentir, dit le prêtre, tu devrais au contraire t’en réjouir. Quant à moi, je voudrais que tes compagnons et toi fussiez loués jusqu’à fin des siècles pour avoir éliminé ces mécréants. Ils étaient les pires gens du
Weitere Kostenlose Bücher