Game Over - L’histoire d’Éric Gagné

père ni un mari. J’étais un joueur de baseball. Et je trouvais ma femme extraordinaire de prendre autant de responsabilités afin que je puisse me concentrer pleinement sur mon métier. Valérie comprenait parfaitement l’implication totale que requérait mon statut de releveur vedette dans les majeures.
    Après cet appel m’informant que l’équipe du sénateur Mitchell s’intéressait à moi, par contre, les choses n’étaient plus pareilles. Je me retrouvais plongé au sein d’une saga politico-légale dont les tenants et aboutissants m’échappaient. En plus, les frappeurs adverses cognaient mes lancers avec aplomb et j’étais en train de devenir la tête de Turc des partisans. Sur le plan sportif, je faisais face à une situation de crise comme je n’en avais jamais vécue auparavant, et il fallait qu’elle se règle de façon urgente.
    Et à l’extérieur du terrain, je me sentais traqué. Cette enquête m’inquiétait et j’y pensais tous les jours. Ce n’était rien pour m’aider à régler mes difficultés sur le terrain.
    Quand le sénateur Mitchell a commencé à solliciter la coopération des joueurs qu’il souhaitait interroger, l’Association des joueurs nous a demandé de faire preuve d’une extrême prudence avant même d’envisager de contribuer à cette enquête. Les réticences exprimées par Donald Fehr et Michael Weiner avaient du sens:
    Â«Le commissaire Selig n’a pas écarté la possibilité d’imposer des mesures disciplinaires (suspensions ou amendes) en regard des informations colligées dans le cadre de l’enquête Mitchell. Votre témoignage pourrait donc être utilisé pour vous imposer, ou imposer à d’autres joueurs, de telles mesures», arguaient nos représentants.
    Â«Rappelez-vous aussi que plusieurs enquêtes criminelles à ce sujet sont en cours dans certains États ainsi qu’au fédéral. Le sénateur Mitchell soutient qu’il respectera vos requêtes de confidentialité dans son rapport . Mais il ne peut pas vous garantir que vos témoignages ne seront pas utilisés dans ces causes criminelles sans votre consentement.
    Â«Le sénateur Mitchell souligne que la Justice s’abstient généralement de poursuivre les athlètes qui consomment des stéroïdes et qu’elle se concentre sur les manufacturiers de tels produits. Mais n’oubliez pas qu’un procureur fédéral a récemment déclaré devant un tribunal qu’une enquête nationale est présentement en cours et que des athlètes pourraient dorénavant être poursuivis.
    Â«Le sénateur Mitchell mentionne également qu’il a conclu un accord avec le bureau du procureur général des États-Unis à l’effet qu’il n’aurait pas à remettre d’informations privilégiées à la Justice. Le sénateur a refusé de nous remettre une copie de cette entente afin que nous puissions comprendre la relation qu’il entretient avec le bureau du procureur général. Et le sénateur ne peut pas promettre qu’il ne divulguera pas ces informations parce qu’il pourrait être contraint de le faire si l’administration de la Justice lui faisait parvenir un subpœna .
    Â«Enfin, comme vous le savez, au cours des cinq dernières années, les propriétaires et les joueurs ont plusieurs fois négocié âprement et longuement au sujet des produits visant à accroître les performances. La position adoptée par l’Association des joueurs dans ces pourparlers reflète un consensus dégagé à la suite de nombreuses réunions, discussions et conférences téléphoniques. N’importe quel commentaire individuel formulé par un joueur au sujet du programme conjoint anti-dopage pourrait être utilisé par les propriétaires lors de futures négociations avec l’Association.»
    Outre la loi du silence qui prévaut dans le baseball majeur –  What happens in the clubhouse stays in the clubhouse –, ces réticences exprimées par nos leaders syndicaux expliquent en grande partie pourquoi la quasi-totalité des joueurs ont refusé de rencontrer l’équipe du sénateur Mitchell durant cette enquête.
    Pour ma part, je ne