Gauvain
salle.
Cependant, Kaï n’en démordait pas. Il était rouge de colère, et la rage l’aveuglait. « Eh bien ! cria-t-il, maudit soit qui s’en soucie ! Laissons donc ce sujet puisque, paraît-il, j’ai des visions. Mais cela ne m’empêchera nullement de dire ce que j’ai vu au roi et à notre hôtesse. Peu m’importe que l’on y trouve à redire, je dénoncerai l’imposture. Et si la dame ose le nier, si elle s’offusque de mes assertions, je saurai bien la convaincre de turpitude ! – Que Dieu m’aide ! dit Yvain, me voici, je l’avoue, au comble de la perplexité. – Quant à moi, je confirme les propos de Kaï, ajouta Girflet. Tous ceux qui le contredisent afin de disculper Gauvain se trompent, et je puis aussi témoigner de ce que j’ai vu de mes propres yeux. – Si le roi n’intervient pas, dit à son tour Yder, je dévoilerai toute la vérité, que ce soit folie ou raison. – Mais non, mais non ! reprit Kaï en ricanant, tu ne le feras pas : cela contrarierait Lancelot et Yvain ! » Lancelot, qui les avait rejoints, prit un visage sévère. « Vous feriez mieux de parler d’autre chose, dit-il. Vos discussions me fatiguent et ne me concernent pas. » Et la querelle s’arrêta là.
Une fois à table, le roi et ses chevaliers furent si bien servis qu’ils n’eurent aucun sujet de se plaindre ni aucune répugnance à s’attarder. Ils virent en effet se succéder plus de six services plantureux. La dame du château leur faisait grande fête, et elle leur tint fort bonne compagnie. Après qu’ils eurent bien mangé et dégusté un vin fort agréable, ils se levèrent et, au même moment, survint dans la cour un cavalier qui réclamait le roi Arthur. « Faites-le monter ici », dit la dame.
L’homme se hâta de grimper l’escalier. Il portait encore, à son cou, son bouclier rouge que décorait un léopard. Après avoir salué l’assistance et, tout particulièrement la dame, il s’adressa à Arthur. « Roi, dit-il, je suis Hunbaut, le fils de la sœur du roi Loth, et donc le cousin de ton neveu Gauvain. – Dans ce cas, répondit le roi, tu es de ma parenté. Qu’as-tu donc à nous dire ? – Roi, je viens te donner des nouvelles de Gauvain. » En entendant prononcer ce nom, la dame se sentit toute bouleversée, et peu s’en fallut qu’elle ne tombât évanouie. Elle réussit cependant à se maîtriser. « Parle, dit le roi. Dis-nous ce que tu sais. » Alors, devant la dame, le roi et les chevaliers qui l’écoutaient avec attention, Hunbaut raconta sa rencontre avec Gauvain et, sans omettre de mentionner sa propre arrogance, les aventures qu’ils avaient vécues ensemble.
« Nous nous apprêtions à rejoindre ta cour à Carduel, continua Hunbaut, et nous étions décidés à ne pas nous arrêter, quand notre chevauchée nous mena dans une clairière où nous découvrîmes une jeune fille au comble du désespoir. Elle se désolait pour son frère et son père qu’avaient emmenés captifs sept cavaliers qui les avaient croisés et assaillis. Quatre d’entre eux s’étaient emparés du frère, les autres du père. Ils avaient ensuite pris des directions différentes. En nous apercevant, la jeune fille nous appela à grands cris et, une fois qu’elle nous eut conté son histoire, nous décidâmes de poursuivre, chacun de notre côté, les ravisseurs. Ainsi fûmes-nous séparés. Quant à moi, je n’eus guère de peine à tuer les trois brigands et à libérer leur otage que je ramenai sur-le-champ à sa fille. Mais Gauvain n’était pas encore de retour. J’attendis une journée entière avant de voir arriver le frère de la jeune fille. Celui-ci nous expliqua de quelle manière il avait été délivré : Gauvain avait tué deux des bandits et mis les deux autres en fuite. Mais la rencontre avait eu lieu près d’une cité qu’on nomme Escavalon, et Gauvain, après le combat, avait dit au jeune homme qu’une affaire urgente l’appelait dans cette cité. Aussi me fit-il transmettre un message d’après lequel je le retrouverais à la cour d’Escavalon.
« Je me hâtai de prendre congé du père et de ses deux enfants et après qu’ils m’eurent indiqué le chemin qui menait à Escavalon, je galopai de toute la vitesse de mon cheval. J’y parvins à la nuit tombante et je demandai tout de suite si l’on avait vu un chevalier du nom de Gauvain. On me répondit qu’il était en effet dans la ville, qu’il logeait chez un vavasseur de sa
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