Gauvain
sans poser de questions, il fonça hardiment sus à l’agresseur. Le choc fut bref, mais très rude. L’adversaire de Gauvain frappa le premier, faisant voler sa lance en éclats. Mais, au deuxième assaut, Gauvain lui plaqua son bouclier sur le bras, le tordit et l’obligea à mordre la poussière puis, levant son épée, s’apprêta à le frapper. Il lui aurait immédiatement tranché la tête si la jeune fille à l’épervier n’était intervenue. « Seigneur ! s’écria-t-elle, si tu le tues, jamais plus je ne connaîtrai de joie en ce monde !
— Je l’épargnerai volontiers, répondit Gauvain, à condition qu’il fasse amende honorable pour son attitude de l’autre jour, quand j’étais sur l’arbre à la recherche de l’épervier. – Ah, seigneur ! s’écria Codrogwynn, il y a en toi tant de noblesse et de courage, tant de vertu et de générosité que je ne peux qu’accéder à ton désir. J’affirme que tu ne peux être accusé d’aucun méfait envers moi. Mon arrogance et ma jalousie ont été les seuls motifs de l’attitude désobligeante que j’ai adoptée. Aussi, pour me faire pardonner, accepté-je sans réserve d’obéir à tes ordres. – Seigneur, répondit Gauvain, je t’en remercie. Je te prie d’abord d’oublier ton ressentiment envers cette jeune fille qui n’avait d’autre but en m’appelant près d’elle que de reprendre l’épervier. Ensuite, je voudrais obtenir de toi quelque chose : que tu acceptes de donner ta sœur, ici présente, au chevalier qui a nom Raguidel et qui l’aime de tout son cœur. Enfin, je te demanderai de me rendre mon cheval, Gringalet, sans qui je me sens bien seul et bien gauche. – Qu’il en soit selon tes vœux », répondit Codrogwynn, et ainsi fut conclue la paix. Le Chevalier sans Nom reprit Gringalet, sans contestation, et fit don à l’autre de son cheval, qui était aussi vigoureux que rapide, et d’une insigne beauté. Cependant, les frères de Codrogwynn, qui avaient entendu le vacarme depuis le bois où ils chassaient, piquèrent eux-mêmes des deux aussitôt, franchissant tertres et vallons, sans ménager leurs montures, de sorte qu’ils parvinrent rapidement à la forteresse. Là, avant même de descendre de cheval, ils demandèrent des nouvelles au premier écuyer qu’ils rencontrèrent, et celui-ci leur conta en détail ce qui s’était passé. Ils réclamèrent leurs armes, s’équipèrent et se précipitèrent en direction du groupe, bien décidés à venger l’affront qu’avait subi leur sœur.
C’est alors que Codrogwynn, qui était monté sur son cheval, les aperçut, la lance en arrêt, prêts à combattre ceux qu’ils croyaient être des perturbateurs. Il s’élança à la rencontre de ses frères et leur signifia sans ambages que s’ils touchaient un seul des chevaliers qu’ils voyaient là, eux-mêmes devaient cesser de compter sur son amitié. Il assura même qu’il serait prêt à faire pour ces étrangers ce que personne n’avait jamais fait : à se ranger à leurs côtés, fût-ce contre ses propres frères. Ceux-ci s’arrêtèrent donc, tout surpris de la situation. Mais lorsqu’ils eurent entendu les explications de Codrogwynn, ils abandonnèrent leur attitude hostile et vinrent saluer leurs hôtes. Ils prièrent même le Chevalier sans Nom de demeurer. Mais celui-ci leur avoua que c’était impossible : il venait de laisser, à deux lieues sur sa droite, un chevalier qui avait d’urgence besoin d’aide pour délivrer son amie. Codrogwynn et ses frères protestèrent alors qu’il n’irait pas sans eux. Gauvain, très touché de leur offre, les en remercia et leur répondit qu’il acceptait volontiers qu’ils l’accompagnassent pour le triomphe de l’amour et de la justice. Enfin, Codrogwynn indiqua qu’il n’était détour, sentier ni traverse qu’il ne connût. Aussi promit-il de rejoindre Gauvain avec ses six frères aussitôt qu’ils seraient armés et de lui prêter toute l’aide qu’il lui faudrait.
Quant à Raguidel, il déclara simplement qu’il accompagnerait le Chevalier sans Nom et le servirait fidèlement dans son entreprise. Ainsi fut fait. Codrogwynn et ses frères allèrent se préparer tandis que Gauvain et Raguidel se précipitaient à travers le bois en direction du gué. Heaumes rabattus, ils parcoururent les sentiers d’un si grand galop que, dans une lande, ils repérèrent bientôt les traces des deux hommes qui les précédaient.
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