Gauvain
« Hâtons-nous ! s’écria Gauvain. Il ne serait pas séant que nous arrivions après la bataille ! »
Cadret et Espinogre étaient déjà parvenus au gué depuis un certain temps lorsqu’ils aperçurent le groupe de leurs adversaires. Celui qui emmenait l’amie de Cadret parvint le premier au passage. En le voyant, Cadret ne put se retenir et, laissant aussitôt son cheval courir de toute la vitesse qu’il pouvait fournir, il frappa son rival avec une telle violence sur le haut du bouclier qu’il jeta à terre tout ensemble la monture et le cavalier. Quant à Espinogre, il porta un coup si rude au suivant qu’il l’abattit de son cheval, la face contre terre, aux pieds de la jeune fille. Puis, Cadret et Espinogre défièrent rudement les autres et revinrent tranquillement à la charge, à grands coups de lance et d’épée. Jamais encore deux chevaliers seuls n’avaient supporté pareil assaut avec si peu de dommage et de perte. Pourtant, ils étaient soumis à rude épreuve, mais leur détermination était telle qu’ils ne ressentaient ni fatigue ni souffrance. Chacun d’eux se comporta si brillamment que le reste de leurs adversaires en demeura tout interdit : ils ne s’attendaient pas à être malmenés si fort par deux chevaliers seuls. Mais ils finirent par se ressaisir, éprouvant une grande honte de se voir infliger semblable traitement, et se lancèrent tous ensemble contre leurs adversaires, et ceux-ci, bousculés par une ruée aussi fracassante, durent reculer en hâte.
C’est alors qu’Espinogre se souvint de ce que lui avait recommandé le Chevalier sans Nom avant leur séparation. Il prit son cor et en sonna quatre fois avec une puissance telle que la forêt tout entière en retentit. Gauvain l’entendit et s’en réjouit, comprenant que les deux braves se défendaient sans faiblir et sauraient résister jusqu’à son intervention. Lui et Raguidel pressèrent l’allure en direction de l’endroit d’où surgissait le son du cor. Au moment de dévaler un tertre, ils aperçurent les combattants : Espinogre courait grand péril, car toute la mêlée dans le vallon s’était concentrée sur lui. Cadret, qui s’apprêtait à secourir son compagnon, reconnut le Chevalier sans Nom, et son courage en fut redoublé. Le cœur plein de son amie, et s’étant aperçu qu’elle le regardait, il éperonna son cheval avec fougue et, franchissant le gué, se précipita contre son rival, suivi bientôt par Gauvain et par Raguidel. Les adversaires, comprenant que leur seigneur allait être isolé au milieu de la bataille, abandonnèrent Espinogre et, faisant demi-tour, fondirent au secours du premier dans l’espoir de le délivrer. Mais il était trop tard : Cadret lui avait déjà arraché son heaume et, le maintenant par le col, l’obligeait à mordre la poussière. « Grâce ! cria celui-ci. Je me rends. »
C’est à ce moment que Codrogwynn et ses frères surgirent du bois, poussant leurs montures le plus qu’ils pouvaient. Ils entrèrent dans la mêlée et renversèrent leurs adversaires qui comprirent que tout était perdu. Abandonnant là leur seigneur qu’ils renonçaient à délivrer, ils remontèrent sur leurs chevaux et s’enfuirent à bride abattue dans toutes les directions. Alors le Chevalier sans Nom, qui entendait mener à bien la bonne action qu’il avait entreprise, saisit par la bride le cheval de la jeune fille et le mena vers Cadret. Celui-ci, au comble de la joie, ne savait pas comment exprimer sa gratitude à ceux qui, l’ayant si bien servi, lui avaient permis de reconquérir son amie.
Codrogwynn supplia le Chevalier sans Nom de prendre quelque repos en leur compagnie. Mais Gauvain rejeta courtoisement cette proposition : « Je ne puis m’attarder, dit-il. Espinogre et moi, nous allons reprendre notre route pour chercher l’aventure qui nous tient tant à cœur. Quand nous l’aurons trouvée, nous reviendrons ici, je t’en fais la promesse, et alors je ne repartirai pas sans t’avoir dit qui je suis. Mais jusque-là, je ne saurais te révéler mon nom, puisque je l’ai perdu et que je ne peux le retrouver sans l’aventure à laquelle j’aspire. Mais si tu veux faire quelque chose pour moi, accueille en ta demeure le brave Cadret et son amie, ainsi que Raguidel qui aime ta sœur et en est aimé. Quant à toi, Codrogwynn, abandonne jalousie, colère, et prends soin de celle que tu as si durement traitée devant moi lorsque, perché dans
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