Gauvain
filles, qui appartenaient à une noble famille du Nord. Mais quand ils les pressèrent d’accorder leur amour, elles imposèrent une abominable condition : il fallait que leurs soupirants tirassent vengeance d’un homme qui avait tué leur père autrefois en combat singulier. Elles exigèrent même la preuve de cette vengeance, à savoir la tête et le corps de celui qu’elles poursuivaient de leur haine, à savoir le plus merveilleux chevalier qui fût en ce royaume, Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie, neveu du roi Arthur.
« Dès lors qu’ils eurent compris qu’ils n’obtiendraient jamais l’amour de leurs belles sans accomplir cette vengeance, les chevaliers se mirent en quête de Gauvain. Ils errèrent si longuement dans ce pays qu’enfin ils rencontrèrent un jour, seul et désarmé, l’homme qu’ils devaient tuer. Et ainsi périt le neveu du roi ! Sa mort, crois-le bien, me cause une si profonde douleur que je ne pense pas en éprouver d’aussi grande pour aucun des malheurs qui me frapperaient désormais. Et ce qui m’afflige encore davantage, c’est que les meurtriers découpèrent le corps de Gauvain pour le transporter et le remettre à leurs amies. Quand ils se furent introduits chez moi de la façon que tu sais, je leur demandai cependant une faveur : qu’ils consentissent à me faire don du bras droit. Ils me l’accordèrent. Au petit matin, ils repartirent pour leur pays avec le reste du corps, et moi, je mis tous mes soins à faire enchâsser le bras de Gauvain dans un reliquaire d’or et d’argent afin d’honorer la mémoire de celui qui fut le plus valeureux chevalier de son temps.
— Cher hôte, demanda le Chevalier sans Nom, dis-moi, au nom de Dieu, connaissais-tu Gauvain ? – Je ne l’avais jamais rencontré. Mais sois sûr qu’il s’agit de lui. D’ailleurs, je vais te montrer son bras, et si toi, tu l’as déjà croisé, tu pourras sans peine le reconnaître. » Aussitôt, il envoya chercher la relique qui, enfermée dans un coffre, était enveloppée dans la soie. Une fois le bras dénudé, ils l’examinèrent de près avec une grande attention. Puis Gauvain pria son hôte de le conserver pieusement jusqu’à ce que l’on sût qui était réellement le chevalier auquel il appartenait. L’hôte promit de n’y point manquer. « Seigneur, ajouta celui qui était venu sans nom, m’est avis que tu te soucies vainement de cette affaire. Moi-même, il n’y a pas quatre jours, j’ai vu Gauvain près de Kaerlion : il allait, en parfaite santé, en quête d’aventure. Mais je voudrais maintenant que tu m’accordes une faveur. – Elle t’est accordée, cher seigneur, répondit l’hôte. – Voici, dit Gauvain. Si tu les connais, dis-moi les noms de ceux qui ont si lâchement assassiné ce chevalier puis traité son corps de manière si irrévérencieuse. Je jure, par tous les saints du Paradis, que je ne laisserai pas ce crime impuni et que je poursuivrai ces lâches jusqu’au bout du monde ! – Je te comprends, dit l’hôte, et je suis prêt moi-même à t’accompagner.
— C’est à moi et à mon compagnon de faire justice, dit Gauvain. Mais tu feras une bonne action en me révélant qui ils sont. – Connais-tu l’Orgueilleux Faé ? Je ne sais pas au juste quel est son nom, mais c’est ainsi qu’il se fait appeler. Ce surnom lui vient sûrement de la Roche Faée, puisque c’est ainsi qu’on appelle sa forteresse. Quant à l’autre, on le connaît sous le sobriquet de Gomeret sans Mesure. – Voilà un surnom qui ne m’impressionne pas, dit Gauvain, car il ne dénote guère une belle qualité ! – Il lui convient pourtant à la perfection, dit l’hôte. Il montre en effet autant d’arrogance que de démesure. Quant au troisième, j’ignore qui il est, sinon qu’il accompagnait les deux autres par amitié. Je lui ai entendu dire et répéter qu’il ne jouait aucun rôle dans cette affaire. Il paraissait très sincère, et je ne crois pas qu’on puisse le tenir pour coupable.
— Cher hôte, dit Gauvain, ne prends pas ombrage de ma demande : serait-il possible que nous fassions route cette nuit et demain jusqu’à midi ? Tu nous mèneras vers le pays des deux meurtriers, puis tu nous quitteras. Mon compagnon et moi, nous irons les combattre et nous obtiendrons justice. » Ils se levèrent de table, s’équipèrent et montèrent chacun sur son destrier. L’hôte les escorta assez longtemps et, au moment de s’en séparer,
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