Gauvain
l’un d’eux parût à même de l’emporter. À la fin, il arriva que Gomeret, se ruant sur son adversaire, le frappa si fort que l’épée s’enfonça dans le bouclier. Peu s’en fallut qu’il ne le tranchât en deux, tant le coup fut violent. Il déploya tous ses efforts pour retirer sa lame, mais avant qu’il n’eût pu y parvenir, celle-ci se brisa au niveau de la poignée, si bien que le pommeau et la garde, tout ornée d’or, lui restèrent seuls dans la main. Espinogre fonça immédiatement sur lui. Il le frappa tant que Gomeret s’écria qu’il se mettait à la merci de son vainqueur. « Je t’accorde la vie, répondit Espinogre, mais à une condition : que tu me suives à la cour du roi Arthur pour te constituer prisonnier ! – Tout ce que tu voudras ! » dit Gomeret.
De son côté, Gauvain avait tant chevauché qu’il était parvenu à la forteresse de l’Orgueilleux Faé. Quand il arriva, il entendit un héraut crier une proclamation selon laquelle le maître des lieux avait tué le neveu du roi Arthur en combat singulier. Gauvain se précipita devant l’Orgueilleux Faé et, sans même le saluer, lui tint ce discours : « Chevalier, ce serait une grande perte si Gauvain avait été tué ! Il ne s’est rendu coupable d’aucun méfait ni envers toi, ni envers un autre, à ce que j’ai entendu dire. Tu n’es donc pas très sage d’oser te vanter de l’avoir tué. Me voici pour t’en donner le démenti et prouver par les armes que Gauvain, neveu du roi Arthur, est bel et bien vivant. Et je le ferai savoir à tous ! – Je prouverai à mon tour ce que j’avance, répondit l’autre, et je me moque de ceux à qui cela peut déplaire ! »
L’Orgueilleux fit apporter ses armes et s’équipa. Il avait une magnifique prestance, une fois monté sur son destrier. Les petites gens firent un large cercle autour d’eux. Alors, on lâcha les brides, sans perdre de temps en autres menaces. Chacun éperonna son cheval et le poussa le plus possible. De sa lance robuste, l’Orgueilleux porta le premier coup, en pleine poitrine de son adversaire et fit voler son bouclier en éclats. Mais, en retour, le Chevalier sans Nom se lança à l’assaut : il fendit le bois du bouclier de l’Orgueilleux de telle sorte qu’il entama le haubert. Il lui enfonça même son épieu jusqu’à la moitié à travers l’épaule, si bien que la pointe en ressortit dans le dos d’un bon pied et plus encore. Elle trancha tout, bois, fer et os, et Gauvain la poussa avec une telle violence qu’il abattit tout ensemble et le cavalier et sa monture. Il saisit alors vivement son épée d’acier et se précipita sur l’Orgueilleux. Mais celui-ci, se sentant grièvement blessé, s’empressa de demander grâce.
« J’accepte ta reddition, dit Gauvain. Mais je veux t’avertir d’une chose avant de la recevoir, car je n’ai nulle envie de te prendre en traître. Tu vas m’accompagner à la cour du roi pour te constituer prisonnier. Et tu devras t’expliquer sur le meurtre que tu as commis envers le chevalier que tu as attaqué lâchement et dont tu as démembré le corps. J’exige que tu t’expliques devant tout le monde sur ton action et celle de ton complice, Gomeret sans Mesure. » L’Orgueilleux, contrarié par ces propos, demeurait silencieux. Alors, Gauvain brandit son épée comme pour l’en frapper. L’autre se sentait trop mal en point pour se défendre. Comprenant que, s’il s’obstinait, son adversaire ne l’épargnerait point, il répondit : « Je ferai tout ce que tu voudras, je le jure devant Dieu ! » Il se redressa péniblement et ajouta : « Chevalier, j’ignorais qu’il existait un homme capable de résister aussi vaillamment à mes assauts et de me vaincre avec tant d’aisance. Il faut que tu sois brave et habile pour avoir réussi un tel exploit. Dis-moi, je te prie, qui tu es. »
Avant de répondre, Gauvain lui tendit la main pour l’aider à se relever. Puis il dit : « Chevalier, sache qu’il ne faut jamais se vanter de ce qu’on n’a pas fait. Depuis plusieurs jours, je n’étais plus que le Chevalier sans Nom. Maintenant que je t’ai vaincu par les armes, je peux te dire qui je suis : Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie, neveu du roi Arthur, celui-là même que tu prétendais avoir tué. – Certes, répondit l’autre, me voici bien contrit et tout honteux. – Il y a de quoi, continua Gauvain. Puisque désormais, au prix de longues errances et
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