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Gilles & Jeanne

Gilles & Jeanne

Titel: Gilles & Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Tournier
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dit-il enfin. Aidez-moi. De là-haut je verrai peut-être une lumière.
    Ses frères l’aident à grimper. Il a bientôt une vision crépusculaire de la forêt qui moutonne à l’infini. Pourtant très loin à l’horizon, il aperçoit la silhouette noire et massive d’une forteresse. Une fenêtre rougeoie. C’est le château de Tiffauges. Poucet dégringole parmi ses frères.
    — Nous sommes sauvés, annonce-t-il, il y a là-bas un grand château illuminé. On y va !
    Le groupe s’enfonce dans la forêt conduit par Poucet. Bientôt ils arrivent à l’entrée du château. Ils frappent à une poterne. La porte s’ouvre comme par magie. Ils entrent à la queue leu leu. La porte se referme sur eux.

9
 
    À quelque temps de là, Blanchet se trouva incommodé jusqu’au fond de son prieuré par une odeur de chair carbonisée qui infestait l’atmosphère. Il sortit et vit qu’un torrent de fumée noire, vomi par la plus grosse cheminée du château, était rabattu sur les dépendances par un vent d’est assez rare en cette région. Cette puanteur de charogne calcinée concrétisait si précisément ses angoisses qu’il décida d’aller trouver Gilles et d’exiger sans plus tarder des explications. Il le chercha longtemps dans les salles et les pièces du château. Il dut monter jusqu’à une petite terrasse qui se trouvait à proximité justement de la cheminée incriminée. Gilles se tenait là, et il ressemblait dans son exaltation effrayante à un homme possédé par une obsession ténébreuse.
    Dès qu’il aperçut Blanchet, il se précipita sur lui et lui posa les mains sur les épaules.
    — Mon père, mon père, cette odeur ? Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? lui demanda-t-il en le secouant. Ça ne vous rappelle rien à vous, bien sûr. Vous n’étiez pas à Rouen, vous. Mais dites-moi, est-ce une odeur de fagot ou une odeur de sainteté ?
    Puis il ferma les yeux et se mit à répéter d’une voix de plus en plus altérée qui se brisa dans un sanglot :
    — Jésus ! Jésus ! Jésus ! Jésus !
     
    Le lendemain Blanchet prenait la route avec trois mules que menait un serviteur. Il avait accepté avec soulagement une mission que lui avait confiée Gilles après une nuit de délire. On disait merveille de ce qui se passait très loin dans le sud, en Toscane précisément. Des savants, des artistes, des philosophes auraient réussi à réunir leurs forces et leurs lumières pour créer un nouvel âge d’or qui se répandrait bientôt sur l’humanité. Qu’il aille donc sur place s’enquérir de ces nouveautés ! Peut-être ramènerait-il en Vendée un enseignement, un objet, voire même un homme propres à arracher le seigneur de Rais à ses noires chimères ?

10
 
    L’ancien petit séminariste de Saint-Malo fut ébloui et scandalisé par le spectacle de la Toscane en ce milieu du quattrocento. Sans doute il avait une certaine expérience de la richesse. Le sire de Rais, qu’il servait comme aumônier depuis quatre ans, était l’un des plus opulents seigneurs du royaume de France. Mais le pays vendéen étalait une pauvreté d’autant plus criante que de toute évidence son seigneur le pressurait sans vergogne pour alimenter son train d’enfer. Tout autre était l’aspect de Florence en cette année 1439. Là, c’était la foule qui paraissait riche, le peuple même qui semblait jongler avec les florins. L’or roulait dans toutes les rues. Ce qui ébahissait surtout Blanchet, c’était que les artisans ne travaillaient visiblement que pour le luxe et la beauté. Il cherchait en vain de modestes fripiers, il ne trouvait que tailleurs s’affairant autour de vêtements princiers. Les forgerons ne battaient ni le fer ni l’acier, mais ostensiblement l’argent et l’or. Les charpentiers n’assemblaient que des coupoles de palais. Et il n’était pas jusqu’aux boulangers qui n’exposaient à l’étal ni pain, ni galette, mais seulement des gâteaux à la crème et au miel. Se pouvait-il donc que tous ces gens – et jusqu’aux plus gueux – fussent riches sans exception ?
    Son air étranger et son effarement évident attiraient cependant l’attention d’une faune peu recommandable de tire-laine et de vauriens qui n’attendaient que l’occasion de le dépouiller. Elle se présenta au moment où Blanchet ne connaissant pas la ville se fourvoya dans une ruelle qui se terminait en cul-de-sac. Il fit demi-tour et voulut rebrousser chemin. Trois personnages

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