Gisors et l'énigme des Templiers
fait, comme le démontre Salomon Reinach, l’histoire de la
Tête des Templiers appartient à une série de légendes élaborées à partir des
traditions concernant Persée et Méduse. Un siècle avant le procès, la légende
de Persée avait connu un regain de faveur. Mais au lieu d’être un personnage à
l’antique, Persée était devenu, conformément à l’usage médiéval qui actualisait
toujours un héros du passé, un chevalier tel que Lancelot du Lac. Or, au
Moyen-Orient, à cette époque, quelle était l’image familière du chevalier ?
Le Templier, bien entendu. Persée était donc assimilé à un Templier. Des gens
d’Orient avaient entendu dire que des chevaliers cachaient une tête magique (la
tête de Méduse) : ces chevaliers ne pouvaient être que des Templiers. Et
puisqu’ils accomplissaient des choses bizarres avec cette tête, ils s’étaient
sûrement convertis secrètement à l’Islam, et ils adoraient la tête comme une
idole, une mahomerie .
À partir de là, on en est venu à considérer cette tête comme
étant « initiatique ». Car on a établi un lien entre l’idole et la
cordelette que portaient les Templiers. Or, d’après les dépositions au procès,
cette cordelette était remise au nouveau chevalier après avoir été passée
autour du cou de l’idole. Voici ce que raconte le frère Huguet de Bune : « Le
frère tira d’une armoire une tête, et la posa sur l’autel. Avec une cordelette,
il se mit en devoir de la ceindre, puis me remit la cordelette en m’enjoignant
de la porter par-dessus la ceinture. » Il est certain qu’ici, en prenant
comme base des actes de dévotion très communs, on a voulu noircir les Templiers et les affubler de coutumes idolâtres. En effet, cette cordelette
est bien connue, et tous les moines en portent de semblables. C’est tout
simplement le symbole de la chasteté obligatoire et dont chaque moine doit
toujours se souvenir. Et si la tête pouvait servir à rendre magique la
cordelette, c’est-à-dire en fait à la bénir, c’est qu’elle n’était point tant
maléfique. Ce devait être tout simplement un reliquaire. Un autre frère, Guy
Dauphin, raconte d’ailleurs que sa cordelette avait touché, à Nazareth, le
pilier de l’Annonciation. C’était probablement l’usage, chez les Templiers, de
mettre en contact la cordelette avec un objet sacré pour lui donner davantage
de pouvoir, ou de signification. On pensera que c’est une superstition, mais en
tout cas, c’est un geste chrétien parfaitement orthodoxe. D’ailleurs, de
nombreux témoins racontent que l’Ordre possédait des reliques, notamment celles
de saint Polycarpe et de sainte Euphémie. Cette fameuse tête, qui alimenta tant
d’hypothèses et aussi de délires, ne semble, en définitive, qu’un simple
reliquaire, comme celui qui, saisi au Temple de Paris, a été montré aux membres
de la Commission pontificale. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat.
Eh bien ! si, justement ! « La notion de la
nature satanique de l’idole est élaborée avec une insistance opiniâtre dans une
série de témoignages où celle-ci figure en compagnie de notre vieille
connaissance, le chat satanique. Ce chat apparaissait à côté de l’idole, dans
une sorte de nuage, il restait là pendant toute la durée de la cérémonie, puis
s’évanouissait pour ne plus jamais revenir. Personne ne peut expliquer son
origine, si ce n’est en affirmant qu’il venait du Diable ou qu’il était
lui-même le Diable. Les Templiers présents lui rendaient honneur en enlevant
leur coiffure, en s’inclinant profondément devant lui et, pour finir, en
l’embrassant au-dessous de la queue. Pour le reste, le chat était aussi
variable que l’idole, puisque certains prétendent qu’il était noir, d’autres
gris, d’autres encore tacheté ou même roux. Après tout cela, nous ne serons pas
étonnés d’apprendre que, selon certains accusés, les Templiers oignaient
l’idole avec de la graisse tirée du cadavre rôti d’un nouveau-né, et qu’ils
brûlaient les corps des frères morts et mélangeaient leurs cendre à une poudre
qu’ils administraient aux novices, afin que, grâce à cette potion magique,
ceux-ci s’attachent de façon indissoluble à leurs pratiques abominables. Nous
ne serons pas non plus surpris de découvrir que des démons assistaient parfois
au culte de l’idole et du chat, sous la forme de belles jeunes filles dont
l’arrivée était d’autant
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