Gisors et l'énigme des Templiers
auxquelles ils avaient
participé. Et, au cours des perquisitions effectuées dans toutes les maisons du
Temple, on n’a jamais trouvé aucune tête , ce qui est
quand même bien surprenant.
On sait maintenant très bien ce qu’était cette
« idole » dite « Caput LVIII m ». C’est tout
simplement un reliquaire en forme de buste de femme, absolument conforme à tous
les reliquaires du genre, tel qu’il en était utilisé dans les cultes parfaitement
orthodoxes rendus à une sainte ou à une martyre [54] .
Et il ne peut y avoir aucun mystère à ce propos.
Il faudrait aussi se souvenir d’un étrange passage de
Rabelais, dans le prologue de Gargantua , à propos des
« Silènes » : « Silènes étaient jadis petites boîtes telles
que voyons à présent dans les boutiques des apothicaires, peintes par-dessus de
figures joyeuses et frivoles, comme de Harpies, Satyres, oisons bridés, lièvres
cornus, canes bâtées, boucs volants, cerfs limoniers et autres telles peintures
contrefaites à plaisir pour exciter le monde à rire : tel fut Silène,
maître du bon Bacchus. Mais dedans, on conservait les fines drogues, comme
baume, ambre gris, amomon, musc, civette, pierreries et autres choses
précieuses. » Rabelais veut ici montrer, par cet exemple et celui de
Socrate, qui était laid et grotesque de visage, mais le plus grand sage du
monde en son esprit, qu’il faut souvent se méfier des apparences. Que peut donc
cacher la hideuse et grotesque idole des Templiers ? De quelle nature
exacte seraient les reliques enfermées dans cette sorte de boîte ornée d’une
tête grotesque ?
Tout cela est symbolique et se réfère à des traditions
populaires communes à de nombreux pays d’Orient ou d’Occident. La description
que fait Rabelais des « Silènes » offre une étonnante analogie avec
les descriptions de la mystérieuse Tête dont témoignent les Templiers. Il est
probable que Rabelais, très au courant de l’affaire du Temple, et qui y fait de
nombreuses allusions tout au long de son œuvre, s’en est souvenu et s’en est
servi pour démontrer que souvent la laideur cache la beauté, et que la réalité
n’est pas forcément ce qui est apparent. C’est de la philosophie, et n’a plus
rien à voir avec un culte idolâtre.
Un autre témoignage fait au cours du procès prolonge le
débat du côté des traditions populaires. C’est la déposition d’un notaire
italien, Antonio Sicci de Verceil, qui fût pendant quarante ans au service des
Templiers de Syrie. Voici ce qu’il dit, le I er mars 1311 :
« J’ai plusieurs fois entendu raconter ce qui suit dans la ville de Sidon.
Un certain noble de cette ville avait aimé une certaine femme noble
d’Arménie ; il ne la connut jamais de son vivant, mais, quand elle fut
morte, il la viola secrètement dans sa tombe, la nuit même du jour où elle
avait été enterrée. L’acte accompli, il entendit une voix qui lui disait :
“Reviens quand le temps de l’enfantement sera venu, car tu trouveras alors une tête,
fille de tes œuvres.” Le temps accompli, le chevalier revint au tombeau et
trouva une tête humaine entre les jambes de la femme ensevelie. La voix se fit
entendre de nouveau et lui dit : “Garde bien cette tête, parce que tous
les biens te viendront d’elle.” À l’époque où j’ai entendu cela, le précepteur
de ce lieu (Sidon) était frère Mathieu, dit le Sarnage, natif de Picardie, il
était devenu le frère du Soudan (sultan) à Babylone (Le Caire), qui régnait
alors, parce que l’un avait bu le sang de l’autre, ce qui faisait qu’on les
regardait comme des frères [55] . »
Cette histoire de nécrophilie est bien connue. Deux autres dépositions en font
état, avec des variantes. On en trouve déjà le récit, un siècle plus tôt, dans
les curieux ouvrages de Gervais de Tilbury et de Gautier Map, ce qui prouve
qu’il s’agit d’un thème mythologique passé au rang de conte traditionnel. On en
reconnaît facilement les thèmes : la tête de mort magique qui donne la
richesse à son possesseur, la copulation interdite, mais magiquement efficace,
entre vivant et mort, et l’idée du mauvais œil. On y a ajouté une référence aux
Templiers, en insinuant que l’un d’eux, ayant accompli le rite de fraternité
par le sang avec un chef musulman, avait hérité de cette tête magique. Il n’en
fallait pas plus pour donner au soi-disant Baphomet toute sa valeur magique et symbolique.
En
Weitere Kostenlose Bücher