Gisors et l'énigme des Templiers
orthodoxie : « En ce jour, (le Graal) reçoit d’en
haut ce qui lui donne sa plus haute vertu. C’est aujourd’hui Vendredi
saint ; c’est le jour où l’on peut voir une colombe descendre du ciel en
planant ; elle apporte une petite hostie blanche et la dépose sur la
pierre. Toute rayonnante de blancheur, la colombe reprend ensuite son essor
vers le ciel. Chaque Vendredi saint, elle vient apporter, comme je vous l’ai
dit, l’objet sacré qui donne à la pierre la vertu de fournir les meilleurs des
breuvages et les meilleurs des mets dont jamais le parfum se soit répandu en ce
monde. Le paradis n’a rien de plus délicieux, je parle ici des fruits que
produit la terre. La pierre en outre produit à ses gardiens du gibier de toute
sorte : animaux qui respirent dans l’air et qu’on voit voler ou courir, ou
bien poissons qui nagent dans les eaux. C’est la prébende que, grâce à ses
secrètes vertus, le Graal fournit à la chevaleresque confrérie [71] . »
Nous sommes encore ici en face de la perpétuelle
contradiction des Templiers. Ils se nourrissent, symboliquement parlant, de
l’Eucharistie. Comment concilier cela avec la non-reconnaissance d’un
Jésus-Dieu, laquelle semble prouvée par le rite du reniement ? Certes, on
s’aperçoit que les Templiers ont la réputation de bien manger et de bien boire,
mais cela ne résout pas le problème. De toute évidence, pour Wolfram von
Eschenbach, ce sont des chevaliers strictement orthodoxes qui affirment leur croyance
en la présence réelle et qui en font même le pivot autour duquel s’organisent
leur vie. Ils ne seraient rien sans cette colombe qui vient apporter l’hostie
sur la pierre, et cela le Vendredi saint, jour de la crucifixion que, par
ailleurs, ils semblent rejeter. Certes, l’image de la colombe venant apporter
l’hostie se réfère à une tradition bien connue : celle de l’ampoule
contenant l’huile du sacre, qui a été apportée à Reims par une mystérieuse
colombe, symbole de l’Esprit saint. Y aurait-il là les éléments d’un rituel
concernant le sacre des rois ? Cela a été souvent proposé à propos de la
Quête du Graal. Par bien des aspects, la recherche de l’objet sacré, à travers
toute une série d’épreuves initiatiques, et l’intronisation du héros du Graal
sont les preuves manifestes d’un cérémonial concernant la royauté. L’origine
peut facilement se reconnaître dans différents mythes, à travers diverses
traditions. On peut retenir le rite celtique, tel que nous le connaissons par
des textes irlandais : il comporte la présence d’une pierre magique, la
Pierre de Tara, qui crie lorsque celui qui va être désigné comme roi s’assoit
dessus. C’est la fameuse pierre de Fâl, pierre phallique s’il en fût, qui,
soit-disant transportée en Écosse et devenue Pierre de Scone, servait au
couronnement des souverains de l’Écosse avant d’être incorporée au cérémonial
d’intronisation des souverains britanniques.
Mais, au fond, peu importe l’objet, qu’il soit pierre, vase
ou tête. Ce qui est intéressant, c’est la présence des Templiers. D’où
viennent-ils ? Assurément, leur recrutement ne se fait pas du tout comme
au Temple. Par la voix de l’ermite Trévrizent, Wolfram nous raconte cette
étrange histoire :
« Quant à ceux qui sont appelés à se rendre auprès du
Graal, je veux dire comment on les reconnaît. Sur le bord de la pierre on voit
apparaître une mystérieuse inscription qui dit le nom de ceux qui – jeune gens
ou pucelles – sont désignés pour accomplir ce bienheureux voyage. Pour enlever
cette inscription, il n’est nul besoin de la gratter, car elle s’évanouit aux
yeux de ceux qui la regardent, dès qu’ils ont lu le nom. Tous les hommes faits
qu’on voit en ce château y sont venus enfants. Heureuse la mère qui a mis au
monde un enfant destiné à servir un jour le Graal ! Pauvres et riches se réjouissent
également quand on leur fait connaître qu’il leur faut envoyer leur enfant
rejoindre la troupe sainte. On va chercher des élus dans les pays les plus
divers ; ils sont dès lors et pour toujours protégés des pensées
pécheresses d’où naît la honte, et ils reçoivent au ciel une belle
récompense ; lorsque leur vie a pris fin ici-bas, ils jouissent là-haut de
la félicité suprême [72] . »
Il y a quelque chose de bizarre dans tout cela : il
s’agit, nous dit Wolfram, des gardiens du Graal, lesquels sont
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