Gisors et l'énigme des Templiers
mythologique.
Le problème doit être posé clairement. Wolfram
étai-il conscient de ce qu’il faisait en présentant des gardiens du Graal qui
sont des Templiers, membres d’un corps d’élite extrêmement fermé et extrêmement
secret ?
La question est d’importance, car elle peut permettre de
déboucher sur une explication de l’attitude des Templiers historiques. Si la
réponse est oui, cela signifie que Wolfram savait que le Temple constituait une
société secrète, avec des buts bien précis de domination du monde. Mais avant
de répondre, il est bon de se référer à d’autres passages de l’œuvre de
Wolfram : « Il y avait des anges qui n’avaient pas voulu prendre
parti quand commença la lutte de Lucifer et de La Trinité. Tous ces anges,
nobles et bons, Dieu les a contraints à descendre sur terre pour garder cette
pierre. Et la pierre n’a pas cessé d’être pure. Je ne sais si Dieu pardonna à ces
anges, ou s’il résolut leur perte. Il dut les rappeler à lui, si sa justice ne
s’y opposait pas. Depuis lors, la pierre est gardée par ceux que Dieu lui-même
a désignés et à qui il a envoyé un de ces anges [73] . »
Ici le thème est franchement cathare [74] .
Si l’on comprend bien, les Templiers, qui sont choisis par Dieu pour garder le
Graal, sont les équivalents des anges. Voici, en quelque sorte, de l’élitisme
pur, pour ne pas dire du calvinisme avant la lettre. C’est Dieu qui décide,
formulation qu’on peut considérer comme chrétienne orthodoxe, mais qui est
singulièrement nuancée : Dieu devient élitiste, ne choisissant que ceux
qui lui semblent assez purs pour protéger la pureté de la pierre. Il y a
nécessairement une idée de conservation de la pureté raciale dans cette
histoire.
Et ce n’est pas tout : « En ce château réside une
noble confrérie. Ceux qui en font partie ont avec vaillance combattu pour
empêcher les hommes de tous les pays d’approcher du Graal, en dehors de ceux
qu’à Montsalvage l’inscription désigne pour entrer dans la troupe sainte [75] . »
Ainsi, non seulement il y a élitisme, mais aussi franchement mise à l’écart,
pour ne pas dire élimination de tous ceux qui, n’étant pas désignés, voudraient
participer au Festin du Graal. Et, dans un autre texte beaucoup moins connu de
Wolfram, un poème intitulé Titurel et qui raconte
l’histoire des ancêtres d’Amfortas, et par conséquent de Parzival, on trouve
des détails particulièrement intéressants. Ce sont toujours les Templiers qui
sont là, et plus que jamais persuadés de leur supériorité : « Toute
la troupe du Graal est faite d’élus toujours favorisés du sort en ce monde et
dans l’autre, toujours comptés parmi ceux dont la gloire est durable… Où que
cette semence fût portée depuis le pays du Graal, il lui était donné de
fructifier, et d’être pour ceux qui la recueillaient le fléau du déshonneur [76] . »
La pensée de Wolfram se prolonge d’ailleurs dans un très long poème d’un
certain Albreht, auteur d’un Nouveau Titurel dans
lequel Montsalvage n’est plus une forteresse, mais le « Temple du
Graal », où se déroulent d’étranges cérémonies, et où officient les
Templiers, plus que jamais « frères », groupés dans une communauté
indestructible et détentrice du message, le seul, l’unique, un ordre d’initiés qui
doit un jour dominer le monde et en extirper le péché.
Il semble hors de doute que Wolfram, suivi en cela par ses
continuateurs, ait consciemment identifié les gardiens du Graal comme étant des
Templiers. Mais il ne se contente pas d’en faire une communauté de
moines-soldats : il en fait une société secrète fermée, avec des rites
particuliers, une initiation nécessaire et surtout un but de
domination mondiale . La raison de cette conquête du monde ? Elle se
trouve dans le Nouveau Titurel : extirper le
péché. Le but est noble. Mais il faut y regarder à deux fois. Nous ne sommes
pas loin du fameux : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les
siens ! »
Alors, Wolfram von Eschenbach connaissait-il le véritable
secret des Templiers ? Tout porterait à le croire. Wolfram est au courant
de bien des choses, il est à l’écoute de toute une tradition marginale qui
commence à s’exprimer par le biais d’un certain « illuminisme » dont
précisément la Bavière est le centre. L’Allemagne du début du XIII e siècle est en effet un creuset où se mêlent des
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