Gisors et l'énigme des Templiers
influences
apparemment contradictoires, mais d’où surgira une spiritualité qui est loin
d’être orthodoxe comme a pu l’être la mystique cistercienne. La poésie des
Minnesinger prélude à une littérature qui dépasse le stade proprement courtois
pour atteindre celui de l’hermétisme. Le profil de Jacob Boehme se dessine déjà
dans l’horizon germanique et toute une pensée hérétique prend corps dans des
œuvres apparemment orthodoxes. Le goût pour les rites mystérieux, pour les
« initiations », se développe. Le nombre des Alchimistes ne fait
qu’augmenter, mais cette science particulière qu’est l’Alchimie traditionnelle
n’est pas seulement la recherche de méthodes pour transformer le plomb en
or : c’est une ascèse personnelle qui porte autant sur l’esprit que sur la
matière et vise à la découverte des grands secrets qui régissent le monde.
Connaître ces grands secrets, c’est dominer le monde, à la fois par la maîtrise
de la religion, par la mainmise sur la politique et l’économie, par
l’utilisation exclusive de la Science. Bien entendu, de telles expériences, de
telles ascèses sont réservées à une élite intellectuelle et spirituelle, l’un
n’allant pas sans l’autre à une époque où le profane n’est pas encore tout à
fait sorti du sacré. Le commun des mortels en est totalement exclu. Cela
explique le goût du secret qui caractérise ces entreprises, et la naissance de
ce qu’on a appelé l’ésotérisme en tant que volonté délibérée de ne transmettre
un message que codé, réservé à ceux qui savent lire entre les lignes. Cet ésotérisme
s’infiltre partout, véhiculant des symboles qui appartiennent au passé mais qui
prennent une nouvelle signification. Wolfram von Eschenbach évolue au milieu de
toute cette agitation intellectuelle qui s’éloigne de plus en plus d’un modèle
officiellement admis. Et c’est dans cet environnement qu’il a délibérément
« accroché » les Templiers au thème du Graal.
On sait que dans le Parzival , le
thème du Graal s’est fort éloigné du modèle celtique qui était encore très
visible chez Chrétien de Troyes et que nous retrouvons presque intact dans la
version galloise, celle où le Graal est une Tête coupée. Chez l’auteur
allemand, le thème a dévié et s’est enrichi de multiples éléments, non
seulement germaniques, mais empruntés à l’Orient, aussi bien à la tradition
musulmane qu’à la tradition indo-bouddhique. C’est dans cette mesure qu’on peut
dire que Wolfram donne une version germano-iranienne de la légende.
Il n’en reste pas moins vrai que le Graal lui-même occupe
une place très secondaire dans Parzival . Il semble que
les Templiers, gardiens de ce Graal, mainteneurs d’une tradition secrète,
soient les personnages les plus importants, tout au moins ceux sur qui Wolfram
a voulu attirer l’attention. Il semble que l’aspect initiatique de la Quête
l’emporte également sur son aspect mystique. En effet, ce n’est pas par une
ascèse longue et périlleuse qu’on atteint Montsalvage, et surtout qu’on y
pénètre, c’est parce qu’on a été désigné d’avance mystérieusement par les lettres qui apparaissent sur la Pierre tombée du Ciel.
Quand on est gardien du Graal, on n’est pas seulement un moine, un prêtre, mais
un guerrier. Wolfram a-t-il voulu réconcilier l’homme spirituel et l’homme
matériel ? Sans aucun doute, et cela est tout à fait dans l’esprit de
Bernard de Clairvaux, mais dépasse singulièrement l’ascèse personnelle prônée
par le moine cistercien. Wolfram fait dire à Kundry, l’étrange sorcière
multiforme aux visages contradictoires, parlant à Parzival : « Tu as
conquis la paix de l’âme et tu as attendu la joie du corps dans un fidèle
désir. » C’est une allusion à la fidélité du héros envers son épouse
Condwiramur. Mais à quel prix s’obtient cette harmonisation des deux tendances
fondamentales de l’être humain qui a la tête au ciel mais les pieds sur
terre ? C’est là que tout devient ambigu.
Car Parzival, qui est l’Élu par excellence, celui qu’on
attendait depuis si longtemps dans l’angoisse, a réussi à retrouver le chemin
de Montsalvage. C’est Kundry, en réalité, qui est venue le chercher et qui l’a
conduit le long des sentiers tumultueux, parce que le nom de Parzival s’est
inscrit sur la Pierre. Parzival guérit son oncle, le roi Amfortas, de sa
blessure
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