Gisors et l'énigme des Templiers
honteuse en lui demandant simplement : « Mon oncle, de quoi
souffres-tu ? » Parzival est un roi thaumaturge. Sa thaumaturgie le
hisse sur le trône du Graal. Il établit sa puissance à Montsalvage. Il envoie
son frère Fairefils en Orient. Il règne dans le secret, et sur un royaume
idéal. Il est le prêtre-roi dont l’autorité est double.
Il établit la synthèse entre les deux fonctions incarnées en Inde par Mithra et
Varuna. Il n’a pas besoin de partager son pouvoir avec un prêtre – ou un
druide, ou un brahmane – puisqu’il est lui-même prêtre. Mais est-il vraiment
prêtre de Dieu ? Il serait plutôt celui d’un culte bizarre et quelque peu
hétérodoxe, celui du Graal. Car le Graal, même si on lui accole le mot
« saint », demeure cependant un objet magique et symbolique .
Et le roi Parzival a un fils. C’est lui que la tradition
nomme Lohengrin, et qui serait celui que les Chansons de geste nomment le
« Lorrain Garin ». De toute façon, c’est le Chevalier
au Cygne . C’est lui qui épousa la duchesse de Brabant, à la condition
que la duchesse ne lui demandât jamais son nom. « De Montsalvage fut
envoyé vers elle un chevalier conduit par un cygne. C’est ce chevalier que Dieu
lui avait destiné [77] .
On connaît la suite de l’histoire, que Wagner, encore lui, a si magnifiquement
mise en musique : la duchesse lui demandera qui il est. « Alors son
ami le cygne ramena une nacelle frêle et belle. Le chevalier laissa en partant
de précieux souvenirs qui lui avaient appartenu : une épée, un cor et un
anneau [78] . »
Mais il avait laissé aussi à la duchesse de beaux enfants qui, eux-mêmes,
firent souche.
Au fait, sait-on que le conquérant de
Jérusalem, Godefroy de Bouillon, prétendait descendre de Lohengrin, et donc de
Parzival, le roi du Graal ? Godefroy de Bouillon, que certains
prétendent être le fondateur du soi-disant Ordre de Sion, lequel aurait
lui-même provoqué la fondation du Temple. Décidément, on en revient toujours au
commencement, même si ce commencement est entouré des brumes tenaces de la
légende. On est en droit de se demander si c’est vraiment une légende, ou
plutôt, pourquoi on a sciemment relié toutes ces légendes. Assurément,
Wolfram von Eschenbach savait tout cela , et c’est pourquoi il a placé
les Templiers à Montsalvage pour garder le Graal. Et ce serait un argument – le
seul, mais tout à fait intéressant – en faveur de l’existence d’un Prieuré de
Sion, quelle qu’ait pu être sa véritable dénomination.
Ainsi, les Templiers auraient été créés
pour garder le Graal . Mais le tout est de savoir ce que les auteurs des XII e et XIII e siècles, dont
Wolfram, entendaient par « Graal ». Il ne semble pas qu’avant la récupération
cistercienne, où, en puisant dans l’Évangile de Nicodème, on a rempli le
mystérieux récipient du sang de Jésus mort sur la croix, de façon à en faire un
instrument de propagande en faveur du culte du Précieux sang, on ait vraiment
cru que le Graal était un objet. Les différentes formes dont on l’a revêtu en
font foi. Ce n’était qu’un symbole.
Dans la plupart des textes relatifs à la légende
arthurienne, on désigne le Graal sous l’appellation « Saint-Graal ».
Mais, sur les manuscrits, cela donne la plupart du temps
« San-gréal » ou « Sangral ». Or, il y a là une subtilité
qui est bien dans le ton des auteurs du Moyen Âge, toujours prêts à faire des
jeux de mots pour transmettre un message sous des termes anodins. Wolfram, qui
se retranche toujours derrière l’autorité d’un certain Kyôt ou Guyot le
Provençal, se moque de ses lecteurs : son Kyôt ou Guyot n’existe pas,
c’est un simple jeu de mots sur le vieux verbe français guiller qui veut dire « tromper ». Mais, à l’époque, il était de bon ton de
se retrancher derrière des informateurs dépositaires de la vraie version d’une
légende, et cela, en utilisant parfois toutes les astuces d’un langage à double
sens.
Si on décompose Sangréal de façon
classique, cela donne San-Gréal , c’est-à-dire le
« Saint-Graal ». Mais si on le décompose en Sang-Réal ,
le déplacement de la coupure change complètement le sens, et cela devient
« Sang Royal ». Quel est donc ce sang royal ?
Dans tous les récits de la vaste épopée arthurienne, où Arthur
est d’ailleurs le pivot d’une société idéale, le héros de la Quête du Graal, que
ce soit
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