Gisors et l'énigme des Templiers
l’importance du site : on ne se
dispute pas des terres sans valeur. Il témoigne aussi de la permanence d’un
idéal qu’on pourrait qualifier de chevaleresque, et, dans ces conditions, il
n’est peut-être pas étonnant d’y rencontrer, ne serait-ce que de façon
épisodique, les Chevaliers du Temple. Ceux-ci étaient obligatoirement liés à la
vie politique de leur temps, et Gisors constituant un pivot politique de
premier plan, il est normal de les y rencontrer, quand bien même l’imagination
emporte plus loin que la réalité historique. Au fond, le passé appartient à
tout le monde : l’essentiel est de savoir qu’en faire.
Mais, de ce passé, que reste-t-il de visible ?
Assurément peu de chose, et pourtant ces précieux vestiges ne manquent ni de
grandeur, ni d’intérêt. Il y a d’abord le château. C’est l’un des mieux
conservés de toute l’architecture militaire des XII e et XIII e siècles, et aussi l’un des plus beaux de
ce type. Les murailles sont imposantes. La fameuse « Tour du
Prisonnier » garde un air de mystère qui n’est pas prêt à disparaître. Une
autre tour, carrée celle-là, appelée « Tour du Gouverneur »,
constituait l’entrée principale de la ville. Par-là, on peut atteindre un
escalier qui aboutit à une ruelle dite « Ruelle du Grand Monarque ».
L’appellation surprend un peu, car elle a une connotation que ne pourraient
renier les ésotéristes de tous bords. Le millénarisme, le prophétisme,
l’hermétisme, tout semble se donner rendez-vous ici, dans l’espoir
qu’apparaîtra enfin Celui qui viendra unifier le royaume fraternel des hommes.
L’explication hélas ! est plus prosaïque : ce passage du Grand
Monarque s’appelle ainsi depuis que l’a suivi le bon roi Henri IV,
lorsqu’il devint « le roi de Gisors ».
C’est le donjon qui retient le plus l’attention. À dire
vrai, il est impressionnant. Construit sur une butte artificielle au centre de
la forteresse, on y accédait autrefois par un escalier en ligne droite qui
partait de la base. Mais cet escalier a disparu et a été remplacé par un chemin
qui monte en tournant autour de la butte. Là, on débouche dans une cour
polygonale entourée d’une muraille d’environ deux mètres d’épaisseur. À droite,
dans la cour, on peut encore voir les vestiges de la chapelle du XII e siècle dédiée à saint Thomas Becket. Sur la face est,
s’ancre un escalier en spirale d’une centaine de marches qui conduit au sommet
du donjon. On peut alors se rendre compte que ce donjon constituait un
magnifique poste d’observation. Non seulement il domine toute la ville et la
vallée de l’Epte, mais on peut voir aussi ce qui se passe en
face , du côté de Trie-Château et de la France. On comprend pourquoi les
rois d’Angleterre et de France se sont tant querellés pour la possession de ce
château…
L’église Saint-Gervais-Saint-Protais est émouvante dans la
mesure où elle a été reconstituée avec beaucoup de soins. Son plan d’ensemble,
assez grandiose, témoigne des différents stades de son élaboration. Aux piliers
du chœur, en gothique rayonnant, répondent les piliers de la nef, sans
chapiteaux, qui vont se perdre d’un seul jet, à vingt-quatre mètres, dans les
voussures, comme les grands hêtres de la forêt de Lyons, toute proche. Les
piliers du bas-côté sud sont remarquables par leur originalité : on y voit
le pilier en hélice des dauphins, le pilier de Saint-Jacques avec ses
coquilles, et surtout le pilier offert par la corporation des tanneurs – qui
ont été longtemps les plus riches artisans de Gisors – en 1525, et qui porte,
sur ses quatre faces, des scènes du métier de tanneur. On peut encore y voir une
fresque du XVI e siècle représentant la
Transfiguration, un vitrail également du XVI e siècle,
évoquant saint Claude, patron de la corporation des tanneurs, et d’autres
verrières anciennes dédiées à saint Crépin et saint Crépinien, patrons des
cordonniers. Dans cette église qui a tant été éprouvée par les luttes
fratricides, on a su conserver l’essentiel, et ce n’est déjà pas si mal.
Pour le reste, la ville offre peu de vestiges, à part le
portail de la léproserie, quelques façades médiévales dans le passage du Grand
Monarque, et le célèbre lavoir normand sur les bords d’un bras de l’Epte qui
coule paisiblement au pied de rangées de fenêtres fleuries. Gisors semble
dormir. Mais sous une
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