Gisors et l'énigme des Templiers
quoi crier au complot universel, ni à se
retrancher derrière une intervention discrète de puissances occultes. De plus,
des fouilles scientifiques, opérées avec toutes les garanties, coûtent fort
cher, et les budgets consacrés à ce genre d’activité sont très réduits. S’il y
a des richesses dans les souterrains de Gisors, elles y sont en sûreté, et
peut-être les mettra-t-on au jour lorsque les temps seront devenus favorables.
Cependant l’imaginaire ne se satisfait pas de ces basses
considérations matérielles. Il fallait à tout prix trouver une explication qui
pût donner pâture aux fantasmes des chercheurs de trésors et autres
« initiés » à on ne sait quelle doctrine plus ou moins secrète. On en
trouva non pas une, mais plusieurs, la plupart étant évidemment invérifiables,
et de plus contradictoires. On se mit à exploiter le moindre document, fût-il
connu seulement de seconde ou de troisième main. On parla d’un prêtre qui
tenait d’un de ses confrères, l’abbé Hoffet – dont le nom se trouve mêlé à
l’affaire de Rennes-le-Château, ce n’est pas un hasard –, la copie d’un
manuscrit du XVII e siècle ayant pour auteur un
certain Alexandre Bourdet qui, dans ses Remarques sur
l’histoire de Gisors , révélait l’existence d’une chapelle souterraine
sous la motte du donjon et en donnait le plan et la coupe. On prit appui sur
une lettre attribuée au chanoine Vaillant, curé-doyen de Gisors en 1938, et
dans laquelle celui-ci demandait à un correspondant de lui retourner un
« document latin de l’an 1500 » à propos de trente coffres de
fer qui se seraient trouvés dans l’église de Gisors. Et surtout, on remit au
goût du jour, avec fioritures ésotériques soigneusement choisies, une
trouvaille archéologique parfaitement authentique datant de 1898.
Le 7 novembre de cette année-là, en effet, alors qu’on
se livrait à des travaux pour renouveler le pavage de la chapelle Notre-Dame de
l’Assomption, dans l’église de Gisors, on s’aperçut « que plusieurs dalles
d’assez grandes dimensions portaient, au revers, des sculptures d’un relief
accentué » (Louis Régnier, journal Le Vexin ,
20 novembre 1898). Malheureusement, les ouvriers brisèrent les dalles
en les retirant, et celles-ci furent réduites à l’état de fragments. Cependant,
on réussit à les rassembler, et l’on s’aperçut ainsi qu’il s’agissait d’un
retable d’autel mesurant un mètre trente de hauteur sur un mètre quatre-vingts
de largeur. Ce retable était décoré d’objets sculptés en haut ou bas-relief,
suivant l’emplacement qu’ils occupaient, et encadrés « dans une
architecture de style François I er composée de
trois arcades ou voussures en plein cintre, qui séparent les pilastres ».
Il y avait évidemment de quoi soulever l’enthousiasme.
Voici comment sont décrites les sculptures (journal Le Vexin , 20 novembre 1898 : « Au centre,
deux personnages debout, dont la tête manque, représentaient très probablement
les adieux de Jésus à sa mère, sujet emprunté aux Évangiles apocryphes que les
imagiers et peintres du XVI e siècle
reproduisaient volontiers ; on peut en avoir un exemple dans la belle
vitrerie de l’église de Conches. À gauche, des apôtres (saint Pierre, saint
Jean et un troisième dont il ne reste que la partie inférieure du corps) sont
debout derrière une balustrade. Devant eux, et de dimensions plus petites
suivant l’usage du Moyen Âge et de la Renaissance, on voit le donateur
agenouillé. Le côté droit, de beaucoup le mieux, présente en regard la donatrice
en prière, tandis qu’en arrière d’une balustrade semblable à la précédente, se
montre sainte Madeleine et une autre sainte que ne suffit pas à identifier le
livre ouvert qu’elle a pour attribut… Au centre, figurait l’entrée de Jésus à
Jérusalem, aujourd’hui uniquement reconnaissable à la figure de Yavé, encore
visible dans l’arbre où il s’était hissé pour voir de plus loin celui que
Jérusalem fêtait avec tant d’enthousiasme. Toutes ces sculptures étaient
autrefois revêtues de peintures et de dorures : il en subsiste encore des
traces très visibles. »
Il restait à savoir d’où provenaient ces fragments de
retable qui, de toute évidence, avaient été réutilisés après la destruction
d’un monument ancien, mais ne remontant pas plus haut que l’époque de
François I er . Or, l’historien
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