Gisors et l'énigme des Templiers
que les Templiers auraient été les seuls à
connaître. Autrement dit, la fameuse chapelle sous le donjon, tant recherchée
par Roger Lhomoy – et bien d’autres depuis –, aurait contenu le trésor et/ou
les archives du Temple. Malheureusement, cette thèse fort ingénieuse ne résiste
guère à l’analyse.
D’abord, il est douteux que de nombreux chariots aient pu
quitter le Temple de Paris la veille de l’arrestation sans attirer l’attention
des Parisiens ou tout au moins celle des espions de Philippe le Bel. Ensuite, à
supposer que ces chariots aient pu passer entre les mailles du filet policier
déployé par le roi, pourquoi en aurait-on déposé le contenu à Gisors dans un
château royal , gardé par des troupes royales ?
À moins d’admettre que la meilleure cachette se trouve dans la gueule du loup,
tout cela paraît bien surprenant. Et même si les chariots ont réellement quitté
Paris – ce qui, après tout, n’est pas impossible –, c’est plutôt en direction
de l’étranger qu’ils seraient allés, vers un territoire ne dépendant pas du roi
de France. Or, le Saint-Empire, l’Aragon et la Bretagne étant trop loin, seule
l’Angleterre aurait pu servir de refuge à un dépôt templier. À ce sujet,
d’ailleurs, il faut remarquer que si, en France, on cherche beaucoup le trésor
des Templiers, on l’ignore résolument en Angleterre. En bonne logique,
pourtant, c’est là qu’il devrait se trouver, si toutefois il existe.
Reste l’hypothèse d’une première étape, non pas dans une
commanderie, car tous les établissements templiers étaient surveillés, mais
dans une abbaye ou un château proche de Gisors, ou à Gisors même, suivie d’un
transbordement progressif vers une destination plus lointaine. Cela n’a rien
d’impossible, mais comment le savoir ? Rien n’a transpiré de ces grandes
manœuvres. Il est également plausible que le pape Clément V ait réussi à
prévenir le grand-maître Jacques de Molay de ce qui se tramait contre l’Ordre
du Temple. D’après des témoignages recueillis lors du procès, Jacques de Molay
se serait réjoui d’avoir pu faire disparaître la règle secrète du Temple avant le jour fatidique. Il serait d’ailleurs surprenant que
le pape, unique supérieur de l’Ordre du Temple, n’ait pas pris certaines
précautions avant d’accepter que les Templiers fussent incarcérés et soumis à
la torture : les relations entre le pape et l’Ordre du Temple, relations
normales et légitimes, avaient dû laisser certaines traces. On n’en a retrouvé
aucune.
Mais de là à prétendre que le Trésor du Temple et les
archives de l’Ordre ont été enfouis dans une crypte sous le château de Gisors,
ou à la rigueur dans la chapelle Sainte-Catherine – bâtie deux siècles après la
disparition du Temple –, il y a un précipice infranchissable. Le scénario est
peut-être excellent, envoûtant même, mais il n’a plus aucun rapport ni avec la
réalité historique, ni avec les témoignages de l’archéologie. Et ce n’est pas
le document de 1307 – ou supposé être de 1307 – dont l’origine est
controversée, et la mise au jour parfaitement nébuleuse, qui peut apporter une
certitude quelconque.
Cependant, dans ce genre d’énigme historique, rien n’est
jamais vraiment perdu, et il se trouve toujours une autre hypothèse pour
suppléer la faiblesse de la précédente. On a vu que l’hypothèse du Trésor du
Temple enfoui à Gisors est fragile : elle ne s’appuie guère que sur des
présomptions. On a donc émis une autre thèse qui, elle, s’appuie sur de
nombreux documents.
Cette thèse est la suivante : les coffres dont il est
question et qui se seraient trouvés dans la chapelle Sainte-Catherine – la
seule crypte à avoir une existence incontestable – auraient contenu non pas les
archives et/ou le Trésor du Temple, mais les archives secrètes d’un mystérieux
Prieuré de Sion, fondé par Godefroy de Bouillon, donc antérieur au Temple, mais
qui aurait contribué en secret à la création de l’Ordre
du Temple et s’en serait séparé en 1188, lors du fameux épisode de l’orme de
Gisors. Ce Prieuré de Sion aurait eu ainsi une existence parallèle à l’Ordre du
Temple, lui aurait survécu jusqu’à nos jours, et aurait entreposé ses archives
dans la fameuse crypte de Gisors, y ajoutant par la suite quelques documents
concernant le Temple. Cette thèse n’est pas plus absurde qu’une autre.
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