Gisors et l'énigme des Templiers
particulier l’exemption des dîmes – exemption déjà
obtenue par les Cisterciens – qui étaient dues, pour leurs domaines, au clergé
séculier, et la permission d’en percevoir pour eux-mêmes. On comprend alors
pourquoi de nombreux conflits opposèrent les Templiers aux autorités
épiscopales de plusieurs pays, et aussi pourquoi l’Ordre n’eut guère de
défenseurs quand il dut subir les accusations terribles que l’on sait. Au fond,
le clergé séculier et les autres ordres monastiques, surtout les Dominicains,
les plus acharnés contre eux, étaient ravis du procès intenté aux Templiers
(qu’ils contribuèrent largement à imposer) : ils y trouvaient leur compte.
En toute charité chrétienne, bien entendu, et pour le bon motif de la défense
de la vraie Foi.
Ainsi se lance l’Ordre du Temple. Au milieu du XII e siècle, même s’il n’a pas atteint le sommet de sa
puissance, il est déjà en très bonne voie. Il s’est rapidement implanté
partout, en Palestine comme en Europe occidentale, et s’est couvert de gloire
dans la lutte contre les Musulmans. On commence à se rendre compte que le
Temple est le plus sûr garant de la Chrétienté en Terre sainte. Sur le
continent européen, les Templiers mettent en valeur les terres qui leur ont été
confiées. Ils fournissent du travail et donc des moyens de subsistance à une
population souvent démunie de tout. Ils organisent et protègent les chemins de
pèlerinages. Ils font en sorte que, dans leurs domaines, les productions soient
rigoureusement utilisées. Ils recueillent beaucoup d’argent de la vente de
leurs produits, et l’investissent immédiatement soit en achetant des terres,
soit en armant une flotte, soit en se procurant le matériel de guerre
indispensable à la Croisade. Ils font construire de nombreux bâtiments et
sanctuaires. Ils tissent un important réseau international de commerce et, par
conséquent, de rapports diplomatiques entre les différents États occidentaux.
Ils s’imposent souvent comme médiateurs. Ils règlent des conflits, ils
négocient des traités. Et surtout, comme une de leurs premières missions était
de faire passer de l’argent d’Europe en Terre sainte, à l’usage des pèlerins et
des Croisés, ils deviennent, par la force des choses, de véritables banquiers.
Quand on leur confie d’importantes sommes d’argent à Londres ou à Rouen, on est
assuré que ces sommes se retrouveront à Acre ou à Jaffa. Le Temple est
sécurisant. Il est jalousé, parfois haï (Guillaume de Tyr nous en laisse le
témoignage), mais il est en position de force : personne ne peut se passer
du Temple. Il faut avouer que c’est là une situation exceptionnelle et unique
dans l’Histoire.
Voilà le moment de se poser certaines questions.
Historiquement, le Temple a surgi de la volonté pieuse et ferme de quelques
chevaliers qui voulaient faire œuvre utile afin d’assurer leur salut éternel.
Par le jeu des circonstances et grâce à la bénédiction de Bernard de Clairvaux,
le plus grand clerc de son époque, grâce aux libéralités de tous les rois et
seigneurs de l’Europe occidentale, grâce à l’appui des différents souverains
pontifes qui se sont succédés sur le trône de saint Pierre, l’Ordre du Temple,
en moins de cinquante ans, est devenu l’une des plus grandes puissances
politiques, économiques, militaires et religieuses du monde. Est-ce vraiment
normal ?
Il ne s’agit pas d’extrapoler ni de délirer. Le sujet est
trop important pour ne pas s’en occuper avec tout le sérieux qu’il mérite. Il
ne s’agit pas non plus d’imaginer un roman sur le Temple. La réalité historique
suffit amplement, car elle est chargée d’ombres. Le succès du Temple est-il une
chose normale ? Assurément non. Tout au moins pouvons-nous prétendre que
ce succès peut cacher certaines motivations qui ne sont pas toutes faciles à
établir.
La fondation de l’Ordre demeure entourée de mystère. Il
apparaît que le but du fondateur Hugues de Payns et de ses compagnons n’était
pas exactement défini. De plus, il semble maintenant établi que la formation de
cette milice chargée de garder les routes de Jérusalem ait été souhaitée, sinon
provoquée, par les autorités civiles et religieuses de la Terre sainte. En
l’occurrence, le patriarche de Jérusalem et le roi Baudouin I er ont dû être pour quelque chose dans la décision des neuf
premiers Templiers, même si le mot « Temple »
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