Gisors et l'énigme des Templiers
fait de lui
l’ennemi implacable des Templiers, mais cela n’a pas toujours été vrai. Certes,
en 1295, il retira le Trésor royal qui se trouvait entreposé au Temple de Paris
et le fit transférer au Louvre. Certains ont voulu voir là un premier geste
d’hostilité vis-à-vis des Templiers, mais ce n’est pas exact. Le roi espérait
simplement pouvoir gérer lui-même le trésor public par de savantes opérations
et contribuer ainsi à son accroissement. Ce fut un échec, et, en 1303, le
Trésor royal réintégra le Temple : les Templiers se révélaient comme les
meilleurs financiers du moment, et le roi de France leur gardait toute sa
confiance. Il comble d’ailleurs les Templiers de libéralités diverses, et leur
adresse des paroles chaleureuses : « Les œuvres de piété et de
miséricorde, la libéralité magnifique qu’exerce dans le monde entier, et en
tous temps, le saint Ordre du Temple… nous déterminent à répandre notre
libéralité sur l’Ordre et ses chevaliers… et à donner des marques d’une faveur
spéciale à l’Ordre et aux chevaliers pour lesquels nous avons une sincère
prédilection [38] . »
Tout cela, semble-t-il, est trop beau pour être vrai et
cache un piège. Oui, mais ce piège n’est pas celui qu’on pense.
Philippe le Bel est un personnage complexe. C’est à la fois
un politicien à l’esprit rusé et calculateur et un fanatique religieux un tant
soit peu mégalomane qui ne peut pas oublier qu’il est le petit-fils d’un saint
roi. Dès son arrivée sur le trône, en 1285, il entreprend de consolider un
royaume qui n’a jamais été aussi vaste, ni aussi bien administré. Visiblement,
son but est d’accroître le plus possible la puissance de cet État national
embryonnaire. À ses yeux, il s’agit là d’un devoir sacré. Tout comme saint
Louis, il pense qu’en défendant les intérêts de l’État et ceux de la dynastie,
il sert également la cause de Dieu et de la foi chrétienne. Doué d’une volonté
de fer, et aussi d’un cœur de pierre, il n’a jamais douté un seul instant
d’agir pour le compte de Dieu : il faut bien s’en
souvenir avant d’émettre sur lui des jugements hâtifs et passionnels .
Dans son esprit, c’est Dieu qui agit par son entremise. En renforçant le
pouvoir du roi de France, de ce pays chrétien qu’on dit « la fille aînée
de l’Église », il ne fait que mettre en œuvre les intentions divines, même s’il faut pour cela entrer en lutte contre le pape , car
le pape n’a qu’une mission spirituelle et non temporelle. D’ailleurs, l’exemple
de son grand-père suffit à le rassurer sur ce point. Saint Louis, en plusieurs
occasions, a tenu tête au pape tout en lui reconnaissant la primauté
spirituelle. En un mot, le roi de France est maître dans son royaume et
responsable devant Dieu seul. C’est déjà la monarchie absolue de droit divin.
Or, depuis la chute de Saint-Jean-d’Acre, Philippe le Bel,
qui a le sens aigu des réalités, mais qui, en même temps, se laisse aller à des
rêves chimériques en rapport avec la mission divine dont il se sent investi,
ouvre les yeux sur des possibilités nouvelles. Puisque la Terre sainte est
perdue, se dit-il, et qu’il est impossible de la reconquérir, du moins à court
terme, cherchons d’autres moyens. Et ces moyens, il va les trouver dans la
pensée mystique, et quelque peu ésotérique, de Raymond Lulle.
En effet, dès 1292, le poète – et alchimiste – Raymond
Lulle, un Catalan, qui s’intéressait de longue date à la possibilité de
convertir l’Islam à la foi chrétienne, s’est fait le propagateur d’un vaste
plan de conquête et d’évangélisation des pays musulmans. Ce plan est le
suivant : des missionnaires possédant une solide connaissance de la langue
arabe (Lulle était lui-même arabisant) recevront l’appui d’une nouvelle armée
de Croisés, armée dont le noyau sera formé par les deux Ordres de l’Hôpital et
du Temple réunis en un seul, et dont le chef suprême prendra le titre de Bellator Rex et deviendra roi de Jérusalem. Dans un premier
temps, Raymond Lulle espère convaincre le roi Jaime II d’Aragon
d’entreprendre une croisade contre Grenade, toujours aux mains des Musulmans,
mais c’est à Paris qu’il trouve des auditeurs attentifs, à la cour du roi de
France.
Philippe le Bel comprend tout le parti qu’il peut tirer du
rôle de Bellator Rex s’il a assez d’audace pour
s’emparer du titre. Il
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