Gisors et l'énigme des Templiers
mission primitive.
D’où provenait cette richesse ? D’abord, des dons
accumulés depuis près de deux siècles. Ces dons ont connu leur apogée à la fin
du XII e siècle, mais ils sont encore constants au
début du règne de Philippe le Bel. Et les Templiers ont su gérer ces biens, les
faire fructifier, car les membres de l’Ordre dépensaient peu pour eux-mêmes. En
somme, les Templiers vivaient en autarcie, et toute acquisition nouvelle était
bénéfice net.
Ils ont eu aussi une autre source de revenus dont on parle
rarement, et qui est pourtant considérable : le butin de guerre. Comme
tous leurs contemporains, les moines-soldats du Temple pratiquaient le pillage.
La bulle papale de 1139 les y autorisait d’ailleurs expressément.
Il ne faudrait pas non plus négliger les dons des pèlerins.
De tout temps, les pèlerinages ont été une source de bénéfices. On en a le
témoignage en voyant l’âpreté des luttes entre sanctuaires, églises et
monastères pour la possession de certaines reliques attirant la foule des
pèlerins, et au besoin l’invention de ces dites reliques. On sait très bien,
par exemple, qu’on pourrait construire une maison de deux étages avec les
débris authentiques de la Vraie Croix dispersés dans le monde. Les Templiers,
comme les autres, ne se sont pas fait faute d’exploiter à outrance la bonne foi
des pèlerins.
Mais c’étaient surtout les opérations de banque qui
conféraient à l’Ordre son orgueilleuse richesse. Profitant de la fameuse
« toile d’araignée » qui le rendait présent partout le long des
routes commerciales, de son autonomie et de son prestige, l’Ordre avait mis sur
pied une organisation financière très en avance sur l’époque et que ne songent
point à mépriser les économistes modernes. L’Ordre a inventé la lettre de change,
le chèque et les divers modes de crédit. On lui confiait des dépôts d’argent
considérables qu’il mettait soigneusement à l’abri : l’énorme forteresse
du Temple, à Paris, a été construite dans ce but. N’importe qui pouvait, par
son intermédiaire, payer ses achats à l’étranger. Il est certain que cette
organisation bancaire devait correspondre à un besoin réel, puisqu’elle a
prospéré de façon étonnante. Et, bien sûr, pour chaque opération, l’Ordre
prélevait un droit de courtage ou de dépôt, ce qui contribuait à accroître sa
fortune. On peut seulement se demander si là était bien le rôle d’un ordre
religieux fondé pour la protection des pèlerins en Terre sainte ?
Ce genre d’activité a suscité, à l’époque, non seulement des
commentaires hostiles, mais des heurts sérieux, des conflits inexpiables avec
les autorités laïques. En France, par exemple, les négociants en vins
protestaient contre la concurrence déloyale des Templiers qui étaient autorisés
à vendre leur vin sans percevoir de taxe. Les marchands de draps se plaignaient
de ce que les Templiers leur causaient tort en imposant certaines marchandises
à des taux exorbitants. En se dotant d’une flotte particulière et en détournant
à son profit la clientèle des pèlerins et des marchands, le Temple s’attira également
l’animosité des compagnies de navigation de Marseille et des ports italiens.
D’ailleurs, lorsque ses propres intérêts étaient en jeu, l’Ordre savait faire
preuve d’une dureté impitoyable peu conforme avec la charité chrétienne.
Intimement persuadés de leur supériorité, habitués à se considérer comme
l’élite combattante de la Chrétienté, les Templiers n’avaient guère de
compassion pour les souffrances de leurs semblables, ni même de respect pour
leurs idées ou leurs sentiments. L’Ordre était devenu une énorme machine, qui
fonctionnait fort bien, mais avait le défaut de toutes les machines : il
n’avait plus rien d’humain. Lorsqu’une maison de Templiers avait un différend
avec ses voisins, elle ne reculait pas plus devant le meurtre, le pillage ou
l’incendie que n’importe quel seigneur féodal. Elle courait seulement moins de
risques d’être sanctionnée grâce aux énormes privilèges dont l’Ordre jouissait,
et à la conspiration du silence qui s’organisait autour de certains incidents.
Surtout, on commence à se poser une question
primordiale : l’Ordre avait-il encore, à partir d’une certaine époque, une
quelconque utilité ? En 1187, Saladin a repris Jérusalem, et désormais les
Chrétiens ne seront plus
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