Gisors et l'énigme des Templiers
jamais maîtres de la Ville sainte. Le royaume chrétien
sera réduit à une petite bande de terre autour de Saint-Jean-d’Acre, et ce
dernier bastion va s’effondrer en 1291. Il n’y a plus de domaine chrétien au
Moyen-Orient. Il n’y a plus de pèlerinages non plus, et donc plus de routes à
surveiller en vue d’assurer la protection des pèlerins. Certes, les Templiers
combattent toujours les Musulmans, mais en Espagne, ce qui crée d’ailleurs un
état de fait et une mentalité spéciale dans ce pays. Mais ailleurs, en Europe
occidentale, on a l’impression que l’Ordre avait perdu toute signification.
Il subsiste cependant, après avoir transité par Chypre, et
transféré en France, dans l’enclos du Temple de Paris, sa maison
« chevetaine ». Il conserve ses sept provinces : France, Aragon,
Portugal, Poitou, Angleterre, Pouilles et Hongrie, et continue ses opérations
financières avec d’autant plus de facilité qu’il n’a plus rien d’autre à faire.
Il conserve aussi les immenses privilèges que les papes lui ont conférés. Dans
ces conditions, faut-il s’étonner que l’Ordre du Temple ait été jalousé et,
bien entendu, calomnié ?
Dans les milieux populaires, on reproche d’abord à l’Ordre
du Temple sa richesse, qui est un scandale et une offense envers les miséreux.
Ensuite, on reproche à ses membres de mener une vie peu en rapport avec l’idéal
monastique. C’est à ce moment-là que l’expression « boire comme
Templier » devient proverbiale. Certes, le Moyen Âge, qui est volontiers
anticlérical, n’a pas cessé de railler les moines de tous les ordres en
insistant sur leur intempérance et leurs excès de nourriture. Mais, vis-à-vis
des Templiers, ces critiques prennent un sens plus précis : les Templiers
sont plus soldats que moines, et ils sont dispensés de certaines abstinences
courantes chez les autres moines. Cela fait jaser. On murmure que leurs mœurs
ne sont pas toujours conformes au vœu de chasteté absolue que symbolise leur
« blanc manteau ». On conseille même aux enfants d’éviter la
compagnie des Templiers, et surtout de se méfier des baisers qu’ils pourraient
donner : car la Règle du Temple, si elle interdit aux frères d’embrasser
une femme, fût-elle leur mère ou leur sœur, n’interdit nullement d’embrasser
les enfants. De vagues soupçons de pédophilie se font jour, et l’on s’étonne
même que ces soupçons ne se soient pas transformés en accusations lors du
procès de 1307. Derrière tout cela il y a sans doute beaucoup de ragots, mais
aussi quelques vérités.
On reproche également aux Templiers un luxe éclatant, non
pas dans la décoration de leurs églises qui sont toujours d’une sobriété
remarquable, mais dans certaines occasions de la vie, où ils se font un peu
trop remarquer par la richesse de leurs vêtements. À cela, ils répondaient que,
pour traiter des affaires, ce qui était leur activité principale, il fallait
bien en imposer aux autres.
Pour être juste, il faut signaler que les Templiers
n’étaient pas seuls à subir cette réprobation populaire. L’Ordre des
Hospitaliers de Saint-Jean était haï de la même façon, et pour les mêmes
motifs. De plus, les Hospitaliers furent mêlés à des scandales beaucoup plus
graves. Ils s’attirèrent bien des fois les foudres des papes pour s’être rendus
coupables d’incontinence sexuelle, pour avoir protégé des assassins
détrousseurs de pèlerins, et même pour s’être égarés dans des doctrines
hérétiques. Certes, ces accusations furent lancées également contre les
Templiers, mais à chaque fois, le Temple bénéficia d’une surprenante indulgence
de la part de la Papauté. Seul, Innocent III, qui était pourtant un ami
des Templiers, osa, au tout début du XIII e siècle,
leur adresser des remontrances : « Les crimes de tes frères,
écrivit-il au grand-maître, nous peinent profondément par le scandale qu’ils
provoquent dans l’Église. Les chevaliers du Temple pratiquent les doctrines du
démon, leur habit n’est qu’hypocrisie. » Et, en 1263, sans doute à la
suite d’une histoire de femme, le pape Urbain IV excommunia le maréchal du
Temple, Étienne de Sissey, protégé du grand-maître Thomas Bérard. Le pape
suivant, Clément IV, consentit à lever l’excommunication à condition que le
maréchal fût déchu de ses fonctions, et il en profita pour lancer un
avertissement solennel à l’Ordre tout
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