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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
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une famille académique, paisible, sans histoires. Trop
académique, trop paisible, et pas assez d’histoires, elle l’avait quittée pour
se marier avec un homme qui possédait une poterie à Vallauris. À l’époque, avec
le fruit de leur travail, ils avaient pu acheter l’appartement de Golfe-Juan où
ils vécurent de désaccords, de querelles et, très vite, de haine.
    Le divorce, une pause et aussitôt mon père.
     
    Mon père qu’elle allait épouser…
    Pour le meilleur du pire.
    Le pire inéluctable.
     
    Après s’être séparée de mon père, ma mère a connu beaucoup d’hommes,
ou plutôt d’adolescents qu’elle choisissait pour se sentir plus jeune que son
âge. Elle les récoltait, en été, sur la plage, en hiver dans les bars, les
ramenait à la maison. Ils arrivaient avec leurs cheveux longs, leurs chemises à
fleurs et leurs jeans déchirés. Certains jouaient de la guitare, d’autres
buvaient des canettes de bière ou alors du whisky au goulot. Ma mère gloussait.
Pour être seule avec eux, elle nous envoyait dans notre chambre.
     
    Pablito et moi sommes étendus sur le lit. Pour ne pas avoir
froid, nous avons ramené la couverture sur nous. Serrés l’un contre l’autre, nous
fixons le plafond de notre chambre. Nous sommes silencieux.
    De l’autre côté de la porte, nous parviennent des éclats de
voix :
    « Allez, Philippe, joue-nous quelque chose ! »
    Cette voix, c’est celle de Lili, la voisine du dessous :
une amie de ma mère.
    Un accord de guitare, aigu et discordant, et une voix de
fausset miaulant la chanson de Nat King Cole :
     
    It was a boy
    A very strange,
enchanted boy
    They say he
wander’d very far
    Very far
    Over land and
sea…
     
    « Tu n’aurais pas quelque chose de moins guimauve ?
Allez, joue-nous un flamenco. Pablo adore ça ! »
    Cette voix, bien sûr, c’est celle de ma mère avec ses « Pablo
adore la guitare », ses « Pablo aime ci », ses « Pablo aime
ça », ses « On ne parle pas comme ça à la belle-fille de Pablo ! »,
ses « J’ai tout vu, je sais tout. Je suis une Picasso ! ».
    Et les lampées de whisky. Et les gorgées de bière. Et les
rires canailles de Lili, de ma mère et de ceux que Pablito et moi, tapis dans
notre chambre, appelons les « voyous », et que nous n’aimons pas.
     
    Sept heures du matin. Nous devons nous lever pour aller à la
petite école. Notre mère dort encore.
    La cuisine est un champ de bataille. Des verres, des
bouteilles et des cendriers pleins jonchent la table. Sans un mot, nous la
débarrassons, passons une éponge sur la toile cirée, jetons les mégots et les
bouteilles vides dans la poubelle, déposons les verres dans l’évier.
    Si nous voulons que ma mère soit gentille, que mon père
sourie, que grand-père nous aime, nous devons leur faire oublier que nous
sommes une charge.
    Après tout, c’est notre faute si notre père se rabaisse pour
obtenir la pension de la semaine, si grand-père refuse si souvent de nous voir,
si ma mère accueille ses voyous. Sans nous, tout le monde pourrait vivre
tranquille. Tout le monde serait heureux.
     
    Conscients du fardeau que nous représentions, Pablito et moi
pensions être en mesure de pouvoir rapprocher le « bon » (mon père) du
« méchant » (mon grand-père). De les réconcilier.
    Nous appelions ça « construire le bonheur ». Cela
consistait à faire le ménage, à ranger notre chambre, à faire la vaisselle, à
servir à ma mère son petit déjeuner au lit.
    Je me souviens encore de la terreur qui s’emparait de moi
lorsque, debout sur une chaise, j’enflammais une allumette pour faire chauffer
l’eau sur la vieille gazinière, de la peur de m’ébouillanter lorsque je versais
l’eau dans le bol réservé à ma mère, de la joie que nous avions à le lui
apporter.
    Elle ouvrait péniblement un œil et disait :
    — Pas maintenant, les enfants. Je suis malade. J’ai
besoin de sommeil.
    Nous ne savions pas encore qu’elle avait un problème d’alcool,
que ce problème s’appelait « gueule de bois » et venait de ses nuits
passées à boire.
    Inquiets, nous lui demandions de quoi elle souffrait et elle
nous répondait :
    — Cela vient de la tuberculose que j’ai eue lorsque j’étais
enfant…
    Ou alors :
    — Mon pancréas qui fait encore des siennes.
    Nous repartions sur la pointe des pieds afin qu’elle se
rendorme et que ses douleurs s’apaisent.
    L’école nous attendait.
     
    Aujourd’hui,

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