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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
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nous apporter l’harmonie
et le calme. Nous aimions le parfum de son eau de toilette, son accent
mélodieux, ses gestes élégants, ses yeux pleins de caresses et son respect des
autres.
    Lorsque, plus tard, nous allions la voir à la clinique où
elle devait finir ses jours, jamais je ne l’ai entendue dire du mal de mon
grand-père. Elle disait seulement que c’était son mari, qu’il était un très
grand artiste et qu’un jour nous serions tout aussi grands que lui. Lorsque
Pablito lui expliquait qu’il en avait assez d’entendre les gens l’appeler « le
petit-fils de Picasso », plaisantant sur la taille de grand-père, elle
répondait : « Pour l’instant, tu es le petit-fils du grand peintre, mais
bientôt tu seras le grand fils du petit peintre. Alors, patiente un peu. »
    Elle prêtait une oreille attentive aux doléances de ma mère,
acquiesçait à ses moindres propos, contrebalançait ses moments d’exaltation par
des conseils donnés sur un ton pondéré. Elle la réconfortait, la consolait de
ses peines, excusait toutes ses maladresses.
    « Allez, courage, Mienne. Les choses vont s’arranger. »
    Elle savait répondre à tous les « pourquoi » de la
vie.
     
    J’ai eu le bonheur d’avoir cette grand-mère-là et, comme
elle appartenait à la race des seigneurs, personne n’a le droit de flétrir son
image, surtout pas ces Judas qui, pour repaître l’ego de Picasso, se sont crus
obligés de dénigrer la grande dame qu’elle était.
    Ce serait trop d’honneur que de citer leurs noms. Trop d’indulgence
pour le mal qu’ils ont fait à Olga Kokhlova, la seule femme qui ait aimé
Picasso.
    Dieu merci, je ne fais pas partie du clan de ces « experts »
qui, pour exalter l’œuvre de Picasso, ont déchiqueté à pleines dents ma
grand-mère. Je n’ai pas comme eux le culte de la complaisance ni de la
servitude, aussi, quand je les entends parler du génie de Picasso, je suis tentée
de répondre : « Oui, mais le génie du mal. »
     
    Ma grand-mère, Olga Kokhlova, née le 17 juin 1891 à
Niezin en Ukraine, était la fille d’un colonel de l’armée impériale. Passionnée
de danse dans un milieu qui considérait d’un mauvais œil ce genre d’activité, elle
attendit sa majorité pour rompre avec sa famille et suivre à travers le monde
la troupe des Ballets russes de Diaghilev.
    La Grande Guerre, la révolution de 1917, Picasso, elle ne
devait jamais revenir dans son pays natal.
     
    Tous ceux qui ont écrit sur Picasso prétendent que ma
grand-mère était une mauvaise ballerine. Dans ce cas, pour quelle raison Serge
de Diaghilev, qui se montrait intraitable dans le choix de ses danseuses et
danseurs, aurait-il gardé ma grand-mère dans son corps de ballet ? Certainement
pas pour coucher avec elle, lui qui n’aimait que les hommes.
    Crapauds qui avez bavé sur Olga Kokhlova, savez-vous qu’à la
fin de sa vie, paralysée des jambes à la suite d’une hémiplégie, elle refusait
qu’on la promène dans une chaise roulante ?
    La chaise roulante : pour une danseuse, le plus grand
châtiment. La pire des offenses.
    Elle nous recevait assise sur son lit et, pour qu’on ne voie
pas ses jambes, elle les recouvrait de son manteau de vison, souvenir des beaux
jours où Picasso l’aimait.
    Car, quoi que vous ayez colporté, quoi que Picasso vous ait
imposé d’écrire pour plaire aux femmes qui vivaient dans ses traces, je sais
que mon grand-père l’aimait. Fasciné par sa beauté, séduit par sa grâce, il l’avait
courtisée en vain à Rome, à Naples puis à Barcelone où se produisaient les
ballets Diaghilev dont il avait créé les décors. Refusant ses avances et son
outrecuidance, elle avait imposé au rustre qu’il était une carte du tendre à
laquelle les filles qu’il avait jusqu’alors lutinées ne l’avaient pas habitué. À
Barcelone, il l’avait présentée à sa mère qui l’avait prévenue : « Aucune
femme ne pourra être heureuse avec mon fils Pablo. » Peine perdue, le jour
où Diaghilev s’embarqua avec toute sa troupe pour l’Amérique du Sud, Olga
Kokhlova refusa de partir avec eux. Picasso avait eu raison de son cœur. Elle
lui dit « oui » à Paris, à l’église orthodoxe de la rue Daru où mon
grand-père la conduisit en chastes et justes noces.
    Olga était pour lui un sauf-conduit qui allait lui permettre
 – lui qui aimait régler ses comptes  – d’oublier le milieu social
dans lequel il avait été élevé

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