Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
Vom Netzwerk:
ont-ils jamais rappelé à quel point elle
était magnifique et royale lorsqu’elle posait pour lui ? Égoïsme, avarice
de cœur, lâcheté, barbarie, pourquoi l’a-t-il reniée après l’avoir tant de fois
glorifiée sur ses toiles : Olga à la mantille, Olga au col de fourrure,
Olga lisant, Olga pensive et tant d’autres Olga dont cette Olga dans un
fauteuil qui illumine le hall de ma maison, vestale noble et énigmatique
qui veille sur ma vie et celle de mes enfants.
    Oui, tout s’est écroulé pour Pablito et moi quand cette
magnifique dame est partie pour ce pays dont on ne revient pas. Elle nous
laissait seuls avec un père qui passait nous voir comme une étoile filante et
une mère qui dissipait sa vie.
     
    La « pension Picasso » que notre père versait à
notre mère se réduisant à une peau de chagrin, cette dernière crut bon de faire
un procès à Picasso lui-même. Si mon père avait refusé l’héritage de sa mère
pour ne pas toucher à l’œuvre picassienne, elle ne voyait pas les raisons pour lesquelles
elle devait faire les frais de cette générosité.
    Convaincue de son bon droit, elle se répandit en tous lieux,
déclarant haut et fort à qui voulait l’entendre qu’elle avait enfin réussi à
museler le Minotaure, le seigneur de La Californie .
    Son action en justice et ses commérages n’eurent d’autre
effet que de braquer davantage mon grand-père contre elle. Afin de la contrer, il
fit appel à son escouade d’avocats. Son objectif : nous enlever à notre
mère et nous placer dans une pension jusqu’à notre majorité.
    Dans la bouche de ma mère, ce procès dont elle parlait sans
cesse devenait onirique. Elle en était la divine héroïne, la mater dolorosa qui combattait pour sauver ses enfants.
    — Picasso n’a pas les structures pour vous accueillir, nous
disait-elle. Il vous mettra dans de grands collèges pour riches.
    Collèges pour riches. Ces mots résonnaient dans nos têtes
comme une damnation.
    Elle ajoutait, féroce :
    — Il vous séparera. Toi, Pablito, tu te retrouveras en
Espagne et toi, Marina, en Union soviétique avec ses communistes… Vous
ne me verrez plus.
    L’un en Espagne et l’autre en Union soviétique. Ces pays
étaient-ils voisins ? Allions-nous être arrachés l’un à l’autre ? Quand
on est tout petits et quasiment jumeaux, la géographie est un ogre qui dévore
le cœur. Un ogre qui nous terrorisait.
    Je ne sais pas au juste comment les choses se passèrent mais,
à cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, ce fut ma mère qui l’emporta.
Elle voulait ses enfants, elle gagna notre garde et n’obtint rien de Picasso si
ce n’est la nomination d’une assistante sociale chargée de contrôler nos
conditions de vie.
     
    Collés à notre mère, nous épions chaque geste de celle qui a
forcé notre porte en qualité d’assistante sociale. Elle ouvre le réfrigérateur
pour voir ce qu’il renferme, contrôle nos cahiers, inspecte notre armoire, veut
savoir comment nous vivons. Nous sommes des malfaiteurs assujettis à une
décision de justice.
    — Qu’avez-vous mangé à midi ? À quelle heure
êtes-vous allés au lit ?
    Nous baissons les yeux, avons peur de répondre.
    L’assistante sociale s’appelle M me  Bœuf. Elle
est plutôt jolie avec des cheveux roux. Parfois, elle nous sourit et, la
dernière fois, m’a offert un bonbon.
    — Pourquoi viens-tu gâcher tous nos jeudis ? lui
ai-je dit, des larmes dans les yeux.
    Elle s’est accroupie devant moi et m’a répondu en cherchant
mon regard :
    — Promis, juré, ma petite Marina, je ne viendrai plus
gâcher tous vos jeudis.
    Nous sommes devenus amies et j’ai pu lui expliquer des tas
de choses :
    — Madame Bœuf, j’aime bien Bécassine.
    Elle m’a regardée, l’œil rond, mais m’a laissée parler.
    — Vous savez, Bécassine est quelqu’un de simple. Ce n’est
pas une idiote. Elle est même très savante mais n’a pas beaucoup de chance. Elle
va à la montagne, essaie de l’escalader et, chaque fois, elle tombe. Ce n’est
pas pour faire rire qu’elle tombe, c’est parce qu’elle n’y arrive pas. Si on l’écoutait,
Bécassine, on se rendrait compte qu’elle a plein de possibilités. Elle serait
même intelligente si on ne lui demandait pas d’escalader ces maudites montagnes…
    Je me suis tue. Les grandes personnes ne comprennent pas
vraiment les choses de la vie.
     
    Nos jeudis étaient le seul moment où nous nous

Weitere Kostenlose Bücher