Grands Zhéros de L'Histoire de France
trop tard ! Depuis le 15 septembre, Napoléon a chargé le premier amiral qui lui tombait sous la main de se rendre à Cadix pour y relever Villeneuve de son commandement. Le nouvel élu ne nous est pas inconnu, puisqu’il s’agit de Rosily, l’enseigne de vaisseau de Kerguelen qui fut le premier à mettre le pied sur l’île de la Fortune en 1772, et ce n’est pas non plus un perdreau de l’année, puisqu’il est âgé de cinquante-sept ans. Un bon marin, oui, sans doute, mais il n’a plus mis les pieds sur un bâtiment de guerre depuis au moins une quinzaine d’années et ne fréquente plus la mer ailleurs que sur les cartes marines dont il a la responsabilité au service hydrographique du ministère.
Ce vieux loup de mer aurait-il pu sauver la flotte française ? Nous ne le saurons jamais car, tel Philippe II à Saint-Quentin, Rosily ne rejoindra Cadix que trois jours après la bataille ! Cependant, la rumeur de sa nomination vient aux oreilles de Villeneuve et cela va précipiter la catastrophe. Pour laver son honneur, l’amiral déchu se décide à tenter le tout pour le tout et à sortir de Cadix à la tête de ses navires.
Dans la fébrilité et la précipitation, Villeneuve accumule les mauvaises décisions. Il adopte la tactique qui a fait perdre toutes les batailles à la France depuis un siècle : la formation en ligne classique, et alterne bateaux espagnols et français. Pas très pratique de communiquer des ordres et des manœuvres quand on ne parle pas la même langue d’un bateau à l’autre ! Le pire, souligne l’amiral Monaque, c’est que, lorsque quelque temps avant la bataille Villeneuve adresse pour la première et unique fois de sa vie une directive écrite à ses subalternes, il y analyse avec une clairvoyance étonnante ce qui va se passer. Il sait comment Nelson va le contrer, mais il est incapable de mettre au point une contre-attaque efficace. Le combat qui s’annonce est au-dessus de ses forces : « Toute la campagne, il a été totalement déprimé : c’est pour lui un long calvaire dans lequel il reste passif. »
En réalité, Villeneuve se sent écrasé par le charisme de Nelson, il est paralysé par la peur. Fondamentalement pessimiste, il ne croit pas du tout avoir la moindre chance de l’emporter contre lui ! Il a invoqué pendant des semaines toutes les excuses possibles pour ne rien faire : marins malades, bateaux en mauvais état, encombrés de troupes exténuées, gréements de mauvaise qualité… et maintenant qu’il se décide enfin à sortir de son trou, il écrit noir sur blanc à ses subalternes qu’il convient de tout faire pour éviter l’ennemi. Aller au combat en cherchant à éviter l’affrontement, voilà des dispositions tactiques qui durent jeter un froid dans les rangs français ! Difficile de vaincre quand le Chef n’y croit pas !
Ce chef pourtant ne manque pas de courage physique : tout au long de la bataille, il arpente sous la mitraille le pont de son bâtiment, le Bucentaure , mais il assiste impuissant au laminage de ses navires. La flotte franco-espagnole en perdition est inexorablement détruite, les vingt-sept navires anglais écrasent les trente-trois navires de la flotte franco-espagnole. Dix-huit d’entre eux sont coulés, mis hors de combat ou pris par l’ennemi, tandis que la flotte de Nelson ne perd aucun bateau. Les Anglais ne comptent que quatre cent deux tués et mille cent trente-neuf blessés alors que les pertes franco-espagnoles s’élèvent à deux mille cent soixante-dix-sept tués et quatre mille sept cents blessés.
À qui la faute ? À Villeneuve bien sûr ! L’Empereur amer ne se privera pas de le rappeler sous la plume de Las Cases dans le Mémorial de Sainte-Hélène : « Alors, la mollesse de Villeneuve vint tout perdre », se plaint-il.
Villeneuve, unique objet de son ressentiment, Villeneuve le mollasson, le lâche, le velléitaire qui fait tomber à l’eau son doux rêve de succéder à Guillaume le Conquérant, en triomphant de la perfide Albion sur les mers. Si Villeneuve avait fait route pour Brest, « mon armée débarquait et c’en était fait de l’Angleterre ». Dans cette version de l’histoire revue et corrigée depuis Sainte-Hélène par Napoléon, le malheureux amiral endosse la responsabilité du massacre à lui tout seul.
Au lendemain de Trafalgar, Napoléon dépité en revient aux valeurs sûres. Il privilégie à nouveau le plancher des vaches et sa bonne vieille Grande
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