Grands Zhéros de L'Histoire de France
alliée espagnole, la flotte de l’Atlantique basée à Brest et l’escadre de Rochefort, elle reviendra en Espagne toutes voiles dehors, bloquant l’accès de la Manche aux Anglais. L’Angleterre ne sera alors plus défendue que par une poignée de bateaux que l’on balayera facilement. Le champ sera libre pour un débarquement de la Grande Armée récupérée entretemps à Boulogne. Dans l’esprit de Napoléon, c’est comme si c’était fait !
Villeneuve va suivre ce plan, à ceci près qu’une fois parvenu aux Antilles, il n’y retrouve pas les escadres françaises, l’une d’entre elles ayant dû faire demi-tour à mi-chemin, l’autre n’ayant même pas pu quitter le port de Brest. Ignorant ces faits, Villeneuve respecte à la lettre les instructions qui sont d’attendre sur place, où il va donc « peigner la girafe » quarante jours durant. Il lui sera violemment reproché de n’avoir rien fait pendant tout ce temps – que n’a-t-il tenté de prendre une île ou deux aux Anglais ? –, alors qu’il avait précisément reçu l’ordre de ne rien faire ! Mais le chef a toujours raison, même lorsqu’il donne des ordres contradictoires et Napoléon est maître en la matière : « Manipulés comme des pions sans connaître la finalité des opérations, soumis, avec les aléas et les délais de la marine à voile, à des ordres qui leur paraissent incohérents et contradictoires, les amiraux de l’Empire se voient accablés de reproches dès que les événements ne se conforment pas à la volonté du maître (13) . »
Obéir aux ordres ne va pas porter bonheur à Villeneuve. En effet, dès qu’il apprend que Nelson arrive en vue des Antilles, il prend le large vers l’Espagne comme prévu, sauf que, vu de Saturne, son départ ressemble fort à une fuite ! Les choses ne vont qu’aller de mal en pis : sur le chemin du retour, il rencontre une escadre anglaise qu’il canarde à l’aveuglette, dans un brouillard à couper au couteau : c’est la bataille des Quinze-Vingts, qui tient son nom à la fois du nombre de bateaux en présence et de l’hôpital parisien réservé aux aveugles.
À l’occasion de cette échauffourée, deux de ses bateaux sont pris, mais il est en supériorité numérique et a le vent pour lui. Il pourrait donc fort bien poursuivre les Anglais et leur reprendre les bateaux enlevés. Il n’en fait rien ! Il « canote vaguement » un ou deux jours en direction du nord, mais renonce bien vite à tenter une percée vers Rochefort ou Brest, ou à regagner la Méditerranée conformément aux ordres reçus. Il va s’enfermer à Cadix en arguant de l’état sanitaire catastrophique de ses équipages. Précisons tout de même au passage que le « coup de la colique » n’est pas une pure invention. Ses marins, comme en son temps le roi Dagobert, souffraient effectivement de dysenterie chronique !
À partir du 19 août, Villeneuve est au chaud dans Cadix et entend bien ne plus en bouger. De fait, il va laisser ses troupes déjà ramollies par la maladie s’y démoraliser des semaines durant, tandis que lui-même adresse à Decrès des lettres qui, selon les termes de ce dernier, ne sont plus que « de longues jérémiades ». Décidément, Villeneuve est l’homme des occasions manquées : ratage à Aboukir, ratage aux Antilles, ratage à la bataille des Quinze-Vingts, grosse déprime à Cadix et ratage magistral à Trafalgar !
Les lettres adressées par Napoléon à Decrès à cette époque attestent la fureur de l’Empereur contre son « scaphandrier d’eau de vaisselle » (après l’expression « amiral de bateau-lavoir » utilisée pour Sidonia, cette autre injure du capitaine Haddock trouve ici une application tout indiquée !). Napoléon qualifie Villeneuve de « lâche », parle de « sa conduite infâme ». Il écrit : « J’estime que Villeneuve n’a pas le caractère nécessaire pour commander une frégate. C’est un homme sans résolution et sans courage moral (14) . » Ou encore : « Villeneuve est un misérable qu’il faut chasser ignominieusement. Sans combinaisons, sans courage, sans intérêt général, il sacrifierait tout pourvu qu’il sauve sa peau (15) . »
Habillé pour l’hiver par son Empereur, Villeneuve propose sa démission à Decrès. Malheureusement, ce dernier n’en informe pas Napoléon et encourage au contraire son protégé à faire oublier ses bourdes par une action d’éclat.
Démission ou pas, il est de toute façon
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