Grands Zhéros de L'Histoire de France
désastre, alors que les navires français qui n’avaient pas été détruits par l’ennemi s’apprêtaient, eux, à entamer une toute nouvelle carrière dans la Royal Navy !
Villeneuve est très marqué par la défaite, il va en conserver un gros complexe d’infériorité vis-à-vis de Nelson, de sorte que, se retrouvant sept ans plus tard face à lui dans le détroit de Gibraltar, il partira perdant.
Après Aboukir, il aurait volontiers continué à se faire tout petit, mais il va lui arriver la même chose qu’à Medina Sidonia. Victime, tout comme son prédécesseur espagnol, du laminage du haut commandement de la marine, il bénéficie d’une promotion dont il ne veut pas et dont il demandera en vain à être déchargé. Malheureusement pour lui, sa hiérarchie n’a pas l’embarras du choix, de nombreux officiers de marine issus de l’aristocratie ayant quitté la France pendant la Révolution. Par-dessus le marché, entre Aboukir (1798) et Trafalgar (1805), les amiraux se mettent à tomber comme des mouches, comme pour donner raison à Voltaire lorsqu’il faisait remarquer que « dans ce pays-ci, il [était] bon de tuer de temps en temps un amiral pour encourager les autres ».
L’amiral Latouche-Tréville, qui dirigeait l’escadre de la Méditerranée et avait à plusieurs reprises tenu Nelson en échec, meurt à bord de son bateau le Bucentaure , dans la nuit du 18 août 1804, en rade de Toulon. Il refuse d’être transporté à l’hôpital, déclarant qu’« un marin est trop heureux de mourir sous son pavillon ». Tout à fait le genre de phrases sublimes qu’aiment à prononcer les grands hommes avant de passer l’arme à gauche ! Nelson, lui, se voyant mourir, demanda une coupe de cheveux (il souhaitait que sa chevelure soit remise à sa maîtresse, lady Hamilton), puis il susurra avant d’expirer : « Dieu merci, j’ai fait mon devoir », suivi de : « Dieu et mon pays. » Chapeau, amiral Nelson, héroïque jusqu’à la fin !
Exit donc Latouche-Tréville. Restait pour le remplacer l’amiral Bruix, autre brillant marin. Hélas, il souffre de tuberculose et se trouve par conséquent hors d’état de prendre la mer ; il meurt le 18 mars 1805, âgé d’à peine quarante-cinq ans. Nous sommes donc dans un cas de figure semblable en tous points à celui de Medina Sidonia, à ceci près qu’il restait encore deux autres candidats possibles au poste de vice-amiral de l’escadre de Méditerranée. Mais Decrès, ministre de la Marine, ne les apprécie pas et leur préfère de très loin son ami Villeneuve, avec lequel il était à Aboukir. Decrès va donc recommander Villeneuve à l’Empereur, par amitié mais aussi parce que cela va dans le sens de ses intérêts. Chez lui, l’esprit de cour semble l’avoir toujours emporté sur l’altruisme. C’est en tout cas ce qui ressort des propos de l’Empereur, rapportés par Las Cases dans le Mémorial de Sainte-Hélène : « Il avait de l’esprit et beaucoup, seulement pour la conversation. Il ne créait rien, exécutait mesquinement, marchait et ne voulait pas courir. Il eût dû passer la moitié de son temps dans les ponts ou sur les flottes d’exercice. J’en eusse tenu compte, mais le courtisan qu’il était craignait de s’éloigner de son portefeuille. » L’un des biographes de Decrès enfonce le clou en l’accusant d’avoir toujours préféré s’entourer de médiocres pour ne pas se faire de rivaux auprès de l’Empereur. Avec Villeneuve, ce serait une réussite !
Quoi qu’il en soit, en 1804, le sort en est jeté, Villeneuve poussé par son ami ministre devient vice-amiral de la flotte de Toulon en remplacement de Latouche-Tréville. Il est le plus jeune officier à occuper cette fonction ! Hélas, sa nomination comme enseigne de vaisseau à dix-sept ans, son engagement dans tous les combats de la guerre d’indépendance américaine auprès de De Grasse, et cette promotion brillante quoique partiellement accidentelle, tout cela comptera pour du beurre et sera balayé par Aboukir et Trafalgar.
Dans ces années-là, comme Philippe II en d’autres temps, Napoléon a une idée fixe : envahir l’Angleterre. Il concentre ses troupes à Boulogne, en vue d’un débarquement qu’il envisage de la façon suivante : la flotte de la Méditerranée (escadre de Toulon sous le commandement de Villeneuve) attirera la flotte anglaise vers les Antilles. Puis, ayant fait aux Antilles sa jonction avec la marine
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