Grands Zhéros de L'Histoire de France
laquelle point n’est besoin d’être Lacan pour déchiffrer : « le bel héros fond », navire qui, ironie du sort, s’était illustré à Trafalgar, côté anglais bien entendu ! Puis, lors du retour des cendres en 1840, sa dépouille sera convoyée en France à bord de la Belle Poule et chargée à Puteaux sur la Dorade , sorte de barge cénotaphe décorée par Philastre et Cambon. La Dorade connaîtra un destin en tous points conforme aux prouesses navales de l’Empire : rachetée par les héritiers de Deligny, elle sera transformée.… en piscine municipale !
Chaumareys, le naufrageur de la Méduse
Des maux de cœur de Medina Sidonia au suicide de Villeneuve en passant par l’érysipèle de Kerguelen, notre lecteur s’imagine sans doute naïvement être passé de Charybde en Scylla. Que nenni ! Car voici qu’à la proue de notre vaisseau fantôme s’avance l’auteur méconnu d’un naufrage au moins aussi fameux que celui du Titanic .
Avec Chaumareys, capitaine de la frégate la Méduse , beaucoup moins célèbre que le radeau du même nom, on peut réellement parler de zhéro refoulé aux oubliettes de l’histoire. Non seulement son nom ne dit rien à personne, mais il est très difficile voire impossible de trouver un portrait de lui. En recherchant « Chaumareys » sur Internet, on tombe immédiatement sur la toile de Géricault ou bien alors sur une reproduction du radeau réalisée par l’un des survivants du naufrage. Chaumareys, lui, n’existe plus, il se confond avec le désastre dont il fut responsable. Il a disparu, comme dissous, aspiré, par l’œuvre de Géricault.
Il se révéla pourtant un super-zhéro, digne d’être extirpé de sa gangue de peinture pour répondre de ses actes devant le tribunal de l’histoire. Il a de la chance : notre cour d’assises est indulgente et ne sanctionne que très mollement les coupables.
Alors qu’après la Révolution il est quasiment impossible de trouver des officiers de marine expérimentés, la grande majorité d’entre eux ayant quitté la France pour sauver leur tête, la marine française va devoir faire face, à partir de 1815, à un afflux important et soudain de « main d’œuvre émigrée ». Avec la Restauration et la prise du pouvoir par Louis XVIII, ces officiers issus de la noblesse reviennent en France et réclament des commandements. En vertu d’un décret royal, tous vont être réintégrés dans le grade supérieur à celui qu’ils avaient en partant. On imagine l’effet produit sur les officiers plus jeunes et plus compétents, évincés au bénéfice de ces « rentrants quinquagénaires », dont la plupart n’ont plus mis le pied sur un bateau depuis un quart de siècle ! Tout le drame du radeau de la Méduse est là !
Le vicomte Hugues Duroy de Chaumareys (1763-1841) est en effet l’un de ces officiers. Alors que la dernière embarcation qu’il a pilotée est la chaloupe sur laquelle il a gagné l’Angleterre vingt-cinq ans auparavant, on lui confie, en 1815, le commandement de l’un des fleurons de la flotte française, la frégate la Méduse . Il doit diriger l’expédition chargée d’aller reprendre possession du Sénégal, rendu à la France par l’Angleterre à la suite des traités des 30 mai 1814 et 20 novembre 1815.
À quel titre le désigne-t-on, lui, plutôt que tout autre incapable du même tonneau ? Parce que, à cette époque, il jouit encore d’une réputation de héros, ayant participé vingt ans auparavant, le 27 juin 1795, au débarquement royaliste raté de Quiberon, qui fit près de huit cents morts : « Le vicomte de Chaumareys ayant réchappé au massacre de Quiberon est promu de plein droit au grade de capitaine de frégate », stipule sa nomination. Ainsi donc, si la fortune de Medina Sidonia lui avait tenu lieu de licence de voile, c’est à sa survie en terrain hostile que Chaumareys devait à présent son brevet de capitaine ! Ce héros sur le retour est par ailleurs un « pistonné » et un menteur : un pistonné parce qu’il n’aurait jamais obtenu un commandement aussi prestigieux sans l’intervention de son oncle, l’amiral d’Orvilliers, ami du comte d’Artois, frère du roi. Et un menteur, parce qu’il se rajeunit d’un an pour ne pas tomber sous le coup de l’interdiction de commander un bâtiment qui frappe alors les officiers de plus de cinquante ans (il a alors cinquante et un ans).
Résumons : nous avons donc affaire ici à un marin d’eau
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