Grands Zhéros de L'Histoire de France
seulement un peu coupable de tout ce qui est arrivé ? Sur le site Internet de la municipalité de Vars-sur-Roseix, dans le Limousin, petite commune dont il était originaire, on peut lire : « Après la prison Hugues de Chaumareys ne revint pas à Vars, il se retira au château de Lachenaud, demeure de sa mère, où il mourut vingt-cinq ans après, le 23 novembre 1841. Pendant vingt-cinq ans, harcelé de remords, il fit pénitence, dormant sur un lit de sarments de vigne. » Il est bien compréhensible que le syndicat d’initiative fasse feu de tout bois pour attirer les touristes à Vars-sur-Roseix, où les personnages célèbres ne courent pas les rues à l’exception de Chaumareys et d’un vague écuyer de Louis XI. De là à faire de ce prétentieux naufrageur un humble pénitent, voilà qui nous semble aller un peu vite en besogne. Au reste, il nous a été impossible de retrouver cette anecdote du matelas de sarments de vigne ailleurs que sur le site Internet déjà cité. Dieu sait pourtant si nous sommes bon public pour les histoires de matelas, comme l’ont montré les anecdotes déjà évoquées des morts comparées de Decrès et de La Motte-Piquet !
La petite ville de Bussière-Boffy, où se trouve le château de Lachenaud, y va elle aussi de son couplet lacrymal sur son zhéro local : « Les enfants de Bussière, lui jetaient des pierres », s’émeut-on sur son site Internet. Je m’en excuse par avance auprès des Varsois et des Bussiérands, mais la fréquentation de Chaumareys, triste sire tout à la fois lâche, menteur, incompétent, buté, autoritaire et peut-être même alcoolique, nous incite plutôt à penser qu’il dormit sur un bon matelas de plumes jusque à la fin de ses jours, en regrettant uniquement les breloques honorifiques dont il parait indûment son poitrail avant son naufrage.
Très récemment, l’historienne bussiérande, Nicole Raynaud, s’est vu confier la correspondance de Chaumareys, qui jamais encore n’avait fait l’objet d’aucune étude approfondie. Il semblerait que son examen vienne adoucir sensiblement l’image terrible de notre zhéro. Chose en tout cas totalement inattendue, on apprend dans une des lettres de Chaumareys que Savigny, son principal accusateur, serait venu le voir au fort de Ham pendant sa captivité. Tous deux seraient tombés d’accord pour faire peser une partie de la responsabilité du désastre sur Joseph Reynaud, second de Chaumareys, qui non seulement ne fut jamais inquiété par la justice, mais fut au contraire promu commandant et reçut la croix de Saint-Louis pour avoir participé au sauvetage des trois rescapés restés sur l’épave de la frégate. Dans une lettre adressée à sa famille, Chaumareys écrit que Savigny et lui-même partagent la même indignation à ce sujet. Par une étrange coïncidence, l’historienne de Bussière-Boffy qui cherche aujourd’hui à alléger la barque de Chaumareys en désignant un autre responsable du drame porte précisément le nom de celui-ci à une lettre près : Raynaud ! Si ce n’est pas un clin d’œil du destin !
Revenons-en une dernière fois au tableau de Géricault. En 1819, le peintre fut autorisé à le présenter au public, mais à la condition expresse de l’exposer sous le titre politiquement correct de Scène de naufrage . Cependant, il ne pouvait y avoir aucune ambiguïté sur le drame représenté, puisque Géricault avait fait poser et figurer Corréard et Savigny sur son œuvre. Le public français boudant le tableau jugé trop provocateur ou trop réaliste, le peintre déçu le transporta en Angleterre où, pendant des mois, les Anglais paieront pour le contempler quelques instants ! C’est aussi en Angleterre que cette toile sera exposée pour la première fois sous son titre originel de Radeau de la Méduse .
À ce stade de notre récit, il reste une question que nous ne nous sommes pas encore posée : pour quelle raison la frégate la Méduse se trouvait-elle amarrée en rade de Rochefort, avant son départ pour le Sénégal ? La réponse est assez piquante : comme elle était l’un des bateaux les plus modernes et les plus rapides de la flotte française, elle y attendait un passager de marque en la personne de… l’empereur Napoléon ! C’est à son bord qu’accompagné de sa suite, il devait gagner l’Amérique. Malheureusement, les Anglais, encore et toujours eux, surveillaient le port et avaient posté au large la frégate l'
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