Grands Zhéros de L'Histoire de France
de l’autre siècle ». Le ressentiment des auteurs envers lui est immense. Leur récit est une pièce à conviction précieuse à verser au dossier en nullité de Chaumareys. Ils écrivent : « Il existe parmi les officiers de la marine un intraitable esprit de corps, un prétendu point d’honneur, aussi faux qu’impérieux, qui les porte à regarder comme une insulte faite à toute la marine la révélation d’un coupable. Ce principe insoutenable, qui n’est utile qu’à la nullité, à l’intrigue, aux gens les moins dignes d’invoquer le mot d’honneur a, pour l’État et le service public, les plus funestes conséquences. Par là, l’incapacité et la bassesse sont toujours couvertes d’un voile coupable qu’on ose vouloir rendre sacré […]. À l’abri de cette loi d’un silence officieux […] des gens sans talent survivent à toutes les révolutions, traînent dans toutes les antichambres leur incapacité privilégiée […] et se montrent d’autant plus âpres à enlever les faveurs et les honneurs qu’ils sont moins habiles à s’en rendre dignes. »
Les deux auteurs ont d’autres accusés dans leur collimateur : ils réclament la condamnation du gouverneur Schmaltz qui, selon eux, ne s’est pas contenté de mentir en affirmant que la corde avait cédé, mais a attendu deux jours après son arrivée à Saint-Louis du Sénégal pour prévenir les Anglais de ce qui s’était passé et envoyer du secours. Les survivants verraient également d’un assez bon œil que l’on juge Dubouchage, le ministre de la Marine, mais aussi l’officier de quart qui signala trop tard la chute à la mer du jeune mousse de quatorze ans et l’officier qui refusa à Ténériffe, au nom du commandant, d’embarquer les malheureux prisonniers français qui croupissaient là depuis huit ans. Enfin, ils exigent la condamnation de tous les officiers qui les ont abandonnés sur le radeau, après leur avoir juré sur l’honneur qu’ils les conduiraient jusqu’à terre. Bref, tout le monde en prend pour son grade, jamais l’expression n’a trouvé application aussi pertinente. Mais celui qui va endosser à lui seul la responsabilité du massacre devant ses contemporains et devant la postérité, c’est Chaumareys. Pour lui, les survivants réclament une stricte application de la loi, laquelle, pour le méfait dont il s’est rendu coupable, prévoit la peine de mort.
Son procès se déroule à bord d’un bateau ancré sur la Charente, à Rochefort, devant un conseil de guerre constitué du contre-amiral de La Toullaye et de sept capitaines de vaisseau. Finalement innocenté pour le chef d’inculpation d’abandon du radeau, Chaumareys est reconnu coupable de ne pas avoir reconnu le cap Blanc, d’avoir échoué la Méduse et de l’avoir quittée en laissant des hommes à bord. En conséquence de quoi, il est rayé de la liste des officiers de la marine, interdit de servir, et condamné… à trois ans de prison militaire, là où Kerguelen, lui, avait été condamné à six ans de forteresse ! Il est vrai qu’il avait désobéi aux ordres du roi, chose alors considérée comme bien plus grave que l’abandon de cent cinquante personnes sur un radeau !
Une peine de mort commuée en trois années de forteresse ? Le moins que l’on puisse dire c’est que notre naufrageur bénéficie là d’une peine particulièrement indulgente. Fallait-il que le pouvoir souhaitât étouffer l’affaire ? Il l’avait d’ailleurs déjà clairement manifesté en laissant la marine britannique rapatrier en France des survivants dont on aurait vu d’un assez bon œil qu’ils restent au Sénégal.
Après sa condamnation, Chaumareys fait un séjour à l’hôpital militaire de Rochefort, puis est transféré au fort de Ham pour y purger sa peine. Pendant ces trois ans de captivité, là où un Kerguelen avait écrit mémoires sur mémoires destinés à apporter sa contribution à la modernisation de la marine, Chaumareys, lui, écrit lettre sur lettre à la Cour et à la ville, pour pleurnicher sur son sort et sur la perte de son grade et de ses décorations. Il réclame à cor et à cri leur restitution, arguant de ses hauts faits à Quiberon. Rien n’y fait ! Personne ne veut plus entendre parler de lui. Il est désormais persona non grata à Paris et les suppliques adressées au roi par quelques amis fidèles n’y changeront rien.
Libéré le 3 mars 1820, il se retire donc sur ses terres. Se sent-il
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