Grands Zhéros de L'Histoire de France
par le tsar de son commandement. Mais il va bénéficier d’un privilège immense par rapport à certains autres zhéros, en ayant ultérieurement l’occasion de s’illustrer brillamment. En mars 1812, alors que les Français sont aux portes de Moscou, Alexandre I er remet Koutousov à la tête de son armée. Bien lui en prend, car son vieux général, après avoir perdu la bataille de Botodino, prendra finalement le dessus sur une armée française surprise par les rigueurs de l’hiver russe. À ce titre, Koutousov est considéré comme l’un des plus grands généraux de l’histoire de la Russie et l’ordre de Koutousov, créé par l’ex-Union soviétique, est encore de nos jours l’une des plus hautes distinctions russes.
Ainsi, les plus grands héros sont-ils parfois eux aussi des gaffeurs, mais des gaffeurs auxquels le destin a donné une seconde chance. Le maréchal Grouchy, lui, n’aura pas cette seconde chance, ainsi que nous allons le voir.
Allez donc vous illustrer au lendemain de Waterloo, quand tout est consommé, que votre Empereur a abdiqué et s’apprête à embarquer pour Sainte-Hélène ! Que faire sinon fuir le plus loin possible – ce que fera en effet notre pathétique maréchal en gagnant Guernesey, puis Philadelphie, aux États-Unis – et supporter de passer le restant de ses jours en ayant l’image d’un « loser absolu » ? Malheureusement pour Grouchy, avec la Restauration et la prise du pouvoir par Louis XVIII, roi podagre qui ne se déplace qu’en chaise roulante, c’en est bien fini des cavalcades héroïques dans les plaines de l’Europe orientale, et nombreux sont les anciens combattants de Waterloo qui n’ont plus désormais d’autre occupation que de régler leurs comptes par écrit. À commencer par Napoléon, retraité amer et douloureux. Reclus dans sa demeure de Longwood, il dicte ses souvenirs à Las Cases en distribuant bons et mauvais points. Grouchy rejoint ainsi Villeneuve au banc des accusés du Mémorial de Sainte-Hélène : « Le maréchal Grouchy avec trente-quatre mille hommes et cent huit pièces de canon a trouvé le secret qui paraissait introuvable de n’être, dans la journée du 18, ni sur le champ de bataille de Mont-Saint-Jean, ni sur Wavre […]. La conduite du maréchal Grouchy était aussi imprévisible que si, sur sa route, son armée eût éprouvé un tremblement de terre qui l’eût engloutie… »
Le Mémorial de Sainte-Hélène , dont la première édition paraît en 1822, sera l’un des plus grands succès éditoriaux du XIX e siècle. Dans ces conditions, difficile pour Grouchy de passer inaperçu, d’autant que dans la foulée du Mémorial , le plus éminent de nos poètes va lui porter le coup de grâce, le privant à tout jamais de l’anonymat dans lequel il eût sans nul doute préféré sombrer. Ce poète est évidemment Victor Hugo, sans qui Grouchy serait probablement passé aux oubliettes. Il fait de lui le plus célèbre et le plus magistral des zhéros de l’histoire de France en le mentionnant dans son poème « L’Expiation » comme l’homme providentiel, qui aurait rendu la victoire possible par son intervention, si seulement il avait daigné se présenter sur le champ de bataille. Sous la plume d’Hugo, Grouchy devient le bouc émissaire de la défaite de Waterloo. Sans le fameux vers « Soudain, joyeux, il dit : Grouchy ! – C’était Blücher », qui d’entre nous connaîtrait son nom ?
Avec « Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine ! », extrait du même poème, c’est sans nul doute l’un des vers les plus connus de la langue française. Par bonheur, Grouchy mourra sans avoir pu l’entendre, mais il s’en fallut de peu, puisque ce texte est publié en novembre 1852, Grouchy étant mort cinq ans auparavant, en 1847.
Infortuné Grouchy, stigmatisé aux yeux du monde par le poète le plus aimé des Français – je rappelle que Victor Hugo est classé sixième des « Cent plus grands Français », entre Coluche et Bourvil ! Avait-il vraiment mérité ça ?
Il n’est évidemment pas question de revenir ici sur les détails de Waterloo. Nous renvoyons les amateurs de stratégie militaire aux dizaines d’ouvrages retraçant minute après minute les quatre-vingt-seize heures que dura la campagne. Rappelons simplement que la grande bataille finale eut lieu le 18 juin 1815, pendant les Cent-Jours, dans le Brabant, entre Charleroi et Bruxelles. Les « coalisés » (Angleterre, Autriche,
Weitere Kostenlose Bücher