Grands Zhéros de L'Histoire de France
avec ses cavaliers sur les troupes franco-autrichiennes déjà pilonnées par l’artillerie ennemie. Bientôt, l’infanterie alliée rompt les rangs, la cavalerie française décimée en se repliant piétine des fantassins, qui eux-mêmes tentaient de fuir comme des lapins. C’est une débandade générale que Soubise lui-même résumera par la suite en termes aussi onctueux qu’élégants : « L’infanterie combattit sans empressement et céda à son inclination pour la retraite. » Une inclination qui permet à l’armée ennemie d’en finir en moins de deux heures avec une armée deux fois supérieure en nombre, et à Frédéric II de raconter partout que cette bataille fut « une promenade ».
Le roi de Prusse va soulever l’admiration des foules en Angleterre et en Amérique du Nord, où des rues porteront désormais son nom. On ne l’appellera plus que Frédéric II le Grand ! « En une seule journée, le vaincu, le perdu, l’écrasé qui larmoyait dans sa correspondance avec Voltaire sur son prochain suicide se redressa au faîte de la puissance, et l’Europe, retournée de pile à face, se prosterna devant lui. » Dans Le Dernier Chevalier , livre de Paul Féval dont cette phrase est extraite, l’auteur écrit plus loin à propos de Rossbach : « Soubise s’était laissé surprendre. Le grand Frédéric, méritant, cette fois, les caresses de Voltaire, venait de donner la mesure éclatante de son génie. Acculé comme un sanglier aux abois, cerné par une meute de cent dix mille soldats, il s’était rué avec ses hommes de fer, au nombre de trente mille seulement, mais bardés de pied en cap dans cette armure enchantée qu’on nomme la discipline, sur le quartier franco-bavarois où la discipline manquait. » Bien que très fâché avec les chiffres (cent dix mille hommes c’est presque trois fois plus que n’en comptaient les effectifs franco-autrichiens), Féval donne cependant une analyse assez pertinente de la situation : l’« armure enchantée » de la discipline n’était pas vraiment le « truc » de Soubise ! En revanche, le maréchal avait la réputation d’être particulièrement bienveillant envers ses soldats et de placer leur bien-être et leur santé avant tout. C’est en tout cas ce qui ressort de sa correspondance. Dans une lettre de 1755, il écrit : « Veiller, de préférence à tout, à la conservation des troupes » et, plus loin : « Nos jeunes colonels sont charmants et seraient très affligés si nous étions obligés de décamper, je le crains beaucoup. » N’est-ce pas attendrissant ?
À Rossbach, les troupes alliées ont été laminées : d’un récit à l’autre les chiffres des morts, blessés et prisonniers divergent mais on peut estimer que notre lieutenant général va perdre entre huit et dix mille hommes, là où les Prussiens en perdent à peine plus de cinq cents.
Soubise a-t-il fait preuve de lâcheté, lui qui tout comme le duc von Sachsen-Hildburghausen a été blessé ? Brocardé comme personne ne l’avait été avant lui, il ne sera cependant pas épinglé pour son manque de courage mais pour sa bêtise et sa mollesse. « Il est certain que le prince de Soubise fut un homme de grand courage et d’intelligence dans sa carrière militaire, brave, infatigable, exact sur la discipline, mais malheureusement, à mon avis, il manqua de fermeté et fit preuve de mollesse (22) . »
Un vrai lâche eût été ridiculisé différemment. Ce sera le cas du duc d’Aiguillon, contemporain de Soubise. On va l’accuser de s’être mis à couvert dans un moulin durant la descente des Anglais à Saint-Cast en 1758. Un jour, comme l’on disait devant La Chalotais, premier président du parlement de Rennes, que le duc s’était couvert de gloire en cette circonstance, celui-ci répondit : « Vous voulez dire de farine ! » Ce bon mot, on s’en doute, circula dans la France entière ! Soubise, lui, a plutôt été dépassé par les événements. Il avait tout simplement atteint son seuil d’incompétence, ou seuil de Peters, dont le principe est bien connu : « Dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence », ainsi que son corollaire : « Avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité. » Voilà ! Soubise à Rossbach, c’est l’employé de Louis XV qui a atteint son seuil de Peters !
Soubise rentre honteux et confus à la cour de France,
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