Grands Zhéros de L'Histoire de France
cérébrale. Jamais il ne sera réhabilité.
Le général Bazaine ayant monopolisé la vindicte de l’opinion publique française, nous avons vu que les noms de certains zhéros au petit pied – type Ollivier, Lebœuf ou Chevandier de Valdrome – sombrèrent injustement dans l’oubli.
Jules Favre fut l’un de ces zhéros dont on s’explique mal que la postérité l’ait à ce point négligé. Jugez-en plutôt : chargé de négocier avec Bismarck à Ferrières les conditions de l’armistice, les 18 et 20 septembre 1870, il était tellement obnubilé par le sort de Paris qu’il en oublia complètement d’inclure dans les négociations la garnison de Belfort et l’armée de l’Est, forte de plus de cent mille hommes et commandée par Bourbaki. Celle-ci n’est même pas mentionnée dans les termes de l’armistice, et Favre n’y fait aucune allusion dans la dépêche qu’il adresse au gouvernement provisoire, alors réfugié à Bordeaux. Il l’a purement et simplement oubliée : « J’étais alors dans un grand état de trouble », plaidera-t-il devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. En fait de « grand trouble », il se serait même effondré en larmes dans les bras de Bismarck après la signature de l’armistice ! La presse de l’époque ne se privera pas de le représenter pleurnichant dans le giron de son ennemi. Apprenant l’incroyable erreur de Favre, Gambetta se met dans une colère indescriptible : « Je comprends qu’un avocat hébété par la peur ait commis une pareille balourdise et une semblable infamie ; mais ce Jules Favre était assisté d’un général quand il discutait avec Bismarck des clauses de la convention : que le sang de l’armée de l’Est et la honte de la défaite retombent sur lui. » Il s’agissait d’un certain général Valdan, autre zhéro oublié de tous dont nous tenons à saluer au passage la nullité exemplaire en cette occasion !
Comment se fait-il qu’un Jules Favre s’en soit aussi bien sorti devant la postérité ? Car sa bourde monumentale fut criminelle : l’armée de l’Est n’étant pas comprise dans l’armistice, elle va se faire attaquer par surprise et subir de très lourdes pertes, près de quinze mille hommes. Bientôt, ce sont quatre-vingt-dix mille soldats épuisés, morts de froid et de faim qui se retrouvent acculés à la frontière, n’ayant plus d’autre choix que de déposer les armes ou de… passer en Suisse ! Et c’est précisément ce qu’ils firent ! Chose inconcevable et jusqu’alors totalement inédite dans l’histoire militaire, l’armée de l’Est, expulsée, de son propre territoire, passa en Suisse le 1 er février 1871, à 5 heures du matin. C’est à Jules Favre que l’on doit cette catastrophe originale ! Depuis la prison où il attendait son procès, Bazaine dut se sentir un peu moins seul !
La France endolorie, amère et revancharde appelle désormais de ses vœux l’entrée en scène d’un héros pur sucre qui lui rendra les territoires perdus. Cet homme va bientôt se présenter : il se nomme Georges Boulanger.
Le général Boulanger : quand le condor devient cacatoès !
Le général Boulanger est d’autant plus intéressant pour nous qu’il a été le personnage le plus cité de notre liste de ratés de l’histoire de France. Il est considéré comme le champion toutes catégories de l’occasion manquée ; on conserve de lui l’image de l’homme providentiel dont on crut un moment qu’il allait changer le destin de la France et qui finalement se dégonfla comme une baudruche. Paradoxalement, ce n’est pas parce que son nom revient souvent que ceux qui le mentionnent ont la moindre idée des circonstances dans lesquelles il passa de héros adulé des foules à zhéro discrédité et tourné en ridicule.
Rappelons le contexte. L’Alsace-Lorraine est allemande depuis maintenant seize ans. En France, tout le monde rêve de revanche et l’armée est au faîte de sa popularité, car on compte sur elle pour reprendre un jour les territoires perdus. Le 7 janvier 1886, Georges Boulanger (1837-1891) est nommé ministre de la Guerre dans le ministère Freycinet, sur la recommandation appuyée de son ancien condisciple au lycée de Nantes, Georges Clemenceau. Boulanger et Clemenceau, c’est un peu Soubise et Louis XV, la loyauté en moins ! Car, le jour où viendra la disgrâce, Clemenceau sera le premier à laisser tomber son camarade de classe et à
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