Grands Zhéros de L'Histoire de France
différentes tentatives de percée en dehors de Metz effectuées par Bazaine. Peine perdue ! Au terme d’un laborieux procès qui durera dix-huit mois, le conseil prononce son jugement au nom du peuple français, le 10 décembre 1873. Aux quatre questions suivantes : « Le maréchal Bazaine est-il coupable d’avoir, le 28 octobre 1870, comme commandant en chef de l’armée du Rhin, capitulé en rase campagne ? Cette capitulation a-t-elle eu pour résultat de faire poser les armes aux troupes dont le maréchal Bazaine avait le commandement en chef ? Le maréchal Bazaine a-t-il traité verbalement, ou par écrit, avec l’ennemi sans avoir fait préalablement tout ce que lui prescrivaient le devoir et l’honneur ? Le maréchal Bazaine, mis en jugement après avis d’un conseil d’enquête, est-il coupable d’avoir, le 28 octobre 1870, capitulé devant l’ennemi, et rendu la place de Metz, dont il avait le commandement supérieur, sans avoir épuisé tous les moyens de défense dont il disposait, et sans avoir fait tout ce que lui prescrivaient le devoir et l’honneur ? » Il est répondu « oui » à l’unanimité. En conséquence, le conseil condamne, à l’unanimité des voix, François Achille Bazaine, maréchal de France, à la peine de mort avec dégradation militaire.
Immédiatement après avoir voté la peine de mort, les jurés vont adresser un recours en grâce au ministre de la Guerre. Ils y font état des « difficultés inouïes » dans lesquelles Bazaine a pris en charge l’armée du Rhin, de sa vaillance, de ses campagnes, de toutes les actions d’éclat qui lui ont valu de mériter le bâton de maréchal de France. Ils le prient d’appuyer leur initiative auprès du président de la République. Deux jours plus tard, le Journal officiel publiait la note suivante : « Monsieur le président de la République a commué la peine de mort prononcée contre le maréchal Bazaine en vingt années de détention, à partir de ce jour, avec dispense des formalités de la dégradation militaire, mais sous réserve de tous ses effets. »
Or, qui donc avait tergiversé à n’en plus finir, faisant piétiner pendant deux jours son corps d’armée, alors qu’il avait pour ordre de gagner Metz coûte que coûte pour permettre à Bazaine et à ses troupes de s’en échapper ? Qui fut blessé la veille de la capitulation de Sedan et ne put prendre part à cette dernière bataille décisive parce qu’il avait reçu un gros éclat d’obus… dans les fesses ? Réponse : le maréchal de Mac-Mahon, précisément ce même président de la République dont les jurés sollicitaient maintenant la clémence pour Bazaine. On comprend mieux pourquoi il accepta le recours en grâce ! La condamnation à mort d’un maréchal de France instantanément suivie d’une demande de recours en grâce par ceux-là mêmes qui venaient de le condamner : cela n’était pas banal. C’est sans doute aussi la confirmation du caractère excessif et inique de cette condamnation. Bazaine a payé pour tous les autres, et, aujourd’hui encore, on ne lui a pas pardonné d’avoir contribué à faire de l’Alsace-Lorraine une province allemande pendant près de cinquante ans.
Après sa condamnation, il fut emprisonné au fort de l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes, là où avant lui avaient été prisonniers le fameux « Masque de fer » ainsi qu’un certain Jean-Baptiste Suard, « double zhéro » dont le cas sera étudié plus loin dans ce livre. Bazaine s’en évade avec l’aide de plusieurs complices et de codétenus, dont sa femme. L’événement fait jaser dans toutes les chaumières de France et quelques petits malins vont avoir l’idée de l’exploiter en éditant une carte postale édifiante, comme on les aime en cette fin de XIX e siècle, où figurent à la fois Bazaine, la prison de Sainte-Marguerite et la corde à nœuds historique avec laquelle le traître s’est évadé ! Après un passage par la Belgique, Bazaine trouve refuge à Madrid où il va vivre misérablement. L’Espagne n’oublie pas qu’il a jadis acquis chèrement le grade de capitaine dans son armée. Le 17 avril 1887, soit quatorze ans après sa condamnation, un voyageur de commerce français tente de l’assassiner à l’arme blanche, mais ne fait que le blesser au visage ; il voulait venger sa patrie, dira-t-il au cours de son procès ! Bazaine meurt l’année suivante, le 23 septembre 1888, d’une congestion
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