Hamilcar, Le lion des sables
guerre inexpiable avait pris fin et, avec
elle, tous les lourds impôts qu’ils avaient dû acquitter. Bientôt, les navires
marchands reviendraient, plus nombreux qu’avant, déverser leurs flots de
richesses sur la cité d’Elissa et ses habitants ne manqueraient plus de rien.
Par milliers, les fidèles s’étaient rendus dans les temples pour offrir des
sacrifices aux dieux et déesses protecteurs de la ville. Les familles, qui
avaient offert en holocauste leurs enfants, se consolaient en songeant que leur
mort n’avait pas été inutile et certaines toisaient même de haut leurs voisins,
estimant que ceux-ci devaient leur manifester de la gratitude pour leur
abnégation.
Hamilcar
Barca ne s’était pas mêlé aux réjouissances publiques. Point par bouderie mais
par calcul politique. Il savait mieux que quiconque que tous les drames
provoqués par la guerre des mercenaires auraient pu facilement être évités si
les sénateurs avaient consenti à honorer leurs engagements en versant les
soldes dues. Leur sordide avarice leur avait coûté cher, très cher. Pour
réprimer le soulèvement, la cité d’Elissa avait dû dépenser des sommes énormes
et les Romains avaient profité de sa faiblesse pour s’emparer de la Sardaigne
et de la Corse. Nul n’avait voulu entendre les appels à la sagesse du fils
d’Adonibaal jusqu’à ce que la situation devienne réellement désespérée. Alors et
alors seulement, les membres du Conseil des Cent Quatre étaient venus le
chercher dans sa retraite de Mégara pour le supplier de sauver, une fois de
plus, sa ville de la destruction. Sur les conseils de son père, presque
mourant, il avait fait taire ses ressentiments et accepté le commandement en
chef des troupes carthaginoises. Maintenant qu’il avait remporté la victoire,
il savait que le Sénat ne lui en serait pas reconnaissant, tout au contraire.
Carthage n’aimait pas ses généraux vaincus qu’elle condamnait à la crucifixion.
Si elle l’avait pu, elle aurait infligé la même peine à ses généraux vainqueurs
dont elle redoutait la popularité et l’emprise qu’ils étaient susceptibles
d’exercer sur la plèbe. Bien entendu, tout cela n’était pas dit clairement, simplement
chuchoté ou sous-entendu au Sénat. À son retour, Hamilcar avait été accueilli
avec des paroles flatteuses par ses amis et par ses ennemis. Tous avaient vanté
son courage et son dévouement, attendant avec impatience, ce qui ne manqua pas,
qu’il mît un terme à ces effusions factices.
À nouveau
cloîtré à Mégara, le père d’Hannibal passait ses journées à ruminer de sombres
pensées. Un matin, Épicide le prévint qu’un sénateur du nom de Bomilcar
demandait à être reçu. À la surprise de son ancien précepteur, il accepta de le
rencontrer.
— Salut
à toi, Bomilcar. Tu as été un fidèle partisan de mon père et c’est pour honorer
son souvenir que je déroge à la règle que je me suis faite de n’accepter aucune
visite.
— Je
t’en sais gré. J’aurais été peiné de ne pas avoir la faculté de te rencontrer,
car tu m’es cher. Crois-moi, nous sommes nombreux au Sénat à regretter ton
absence alors que nous avons besoin de ton expérience et de tes conseils
avisés.
— Je
ne suis pas sûr que la majorité de tes collègues partagent ce point de vue.
— Tu
te trompes et ton père, Adonibaal, ne se serait pas comporté comme toi. Aux
pires moments de l’histoire de notre ville, y compris quand il était l’objet
d’attaques injustifiées, il n’a jamais manqué une séance du Conseil des Cent Quatre.
Faute de sa présence, la sagesse des Barca nous manque cruellement aujourd’hui.
— Je
te remercie de tes bonnes paroles. Je sais, parce qu’elles viennent de toi,
qu’elles sont sincères. Mais ma place n’est pas au Sénat. Je déteste les
intrigues et les complots ainsi que les interminables discussions dont vous
semblez vous repaître à satiété. Je ne suis qu’un soldat et je n’ai d’autre
ambition que de me battre. Or nous sommes en paix avec Rome et avec nos
voisins. Mon glaive est donc inutile et je me contente de veiller à l’éducation
de mes fils, ce qui n’est pas une mince affaire.
— Hamilcar,
tu sais qu’il y a plusieurs façons de se battre. La guerre n’est que l’une
d’entre elles.
— Qu’entends-tu
par là ?
— Nous
sommes en paix avec les Romains et les Numides et les mercenaires ont été punis
comme ils le méritaient. Mais
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