Hamilcar, Le lion des sables
ton message à qui de droit.
Pour l’heure, tu peux être rassuré. Mes troupes ont fort à faire pour pacifier
cette région infestée de brigands et de rebelles à notre autorité. C’est à cela
que je consacre toute mon énergie. Et, s’il te fallait une preuve
supplémentaire de ma bonne foi, tu n’auras qu’à examiner soigneusement le port.
Y as-tu vu une flotte qui me permettrait de traverser le détroit ?
— Je
n’ai rien vu de tel.
— Ne
manque pas d’en informer le Conseil des Cent Quatre pour dissiper ses
inquiétudes. Carthage n’a rien à craindre de Rome. J’ai été heureux de te
rencontrer et je te laisse maintenant continuer ta mission. Une escorte va te
ramener à ton navire à moins que tu ne consentes à passer la nuit ici. Ce
serait un honneur pour moi que de t’offrir mon hospitalité.
Hamilcar
était tenaillé entre le désir de rejoindre ses amis à Messine et celui de
rester afin de pouvoir inspecter le camp romain et mieux comprendre ainsi ceux
qui – il en était désormais certain – seraient
prochainement ses adversaires. Il opta pour la seconde solution.
— J’accepte
avec reconnaissance ta proposition, Appius Claudius.
— Je
vais te faire conduire à tes quartiers. Nous nous retrouverons ce soir.
Un
officier vint chercher l’envoyé carthaginois et le mena jusqu’à une tente de
taille modeste mais luxueusement aménagée. Un esclave se présenta à lui.
— Mon
nom est Cléarque et mon maître, Caïus Cornélius Scipion, m’envoie pour te
servir.
— Tu
es grec ?
— Lacédémonien.
J’ai été capturé par des pirates alors que je me rendais à Corinthe. Ils m’ont
vendu aux Romains.
— Ton
maître a-t-il beaucoup d’esclaves ?
— Des
centaines. Il appartient à l’une des plus illustres et des plus vieilles
familles de Rome. Les siens prétendent même qu’ils descendent en ligne directe
d’Énée, le fils du roi Priam.
— Est-il
un bon maître ?
— On
m’a dit qu’il y en avait de pires. Je me contente de le servir mais je ne puis
oublier que, jadis, je fus un homme libre.
— Que
penses-tu des Romains ?
— Rien
qui vaille la peine de retenir ton attention. C’est un curieux peuple. D’un
côté, il y a les sénateurs, tous plus riches les uns que les autres ; de
l’autre, il y a le peuple, la plèbe ainsi qu’ils la nomment. Les uns sont
soldats, tu en verras beaucoup ici, les autres vivent des distributions de blé
et d’huile que le Sénat organise pour eux. Quant au reste, ils se reposent sur
leurs esclaves et sur les populations des villes soumises à leur autorité.
Bien, si tu n’as pas d’ordre à me donner, permets-moi de me retirer. Si tu as
besoin de moi, tu n’as qu’à appeler, je viendrai.
Hamilcar
prit quelque repos sous la tente. En fin d’après-midi, il sortit et observa les
légionnaires manœuvrer sur un vaste espace situé en dehors du camp.
Impeccablement alignées, les cohortes marchaient d’un pas égal, tournaient sur
la droite ou sur la gauche, se formaient en vastes unités avant de se scinder à
nouveau en minces colonnes. Les hommes portaient un lourd équipement : un
casque rond, une cuirasse sur une tunique de cuir, un glaive reposant dans un
fourreau étroit, une lance haute de plusieurs coudées et un long bouclier rectangulaire
couvrant presque tout le corps du combattant.
L’ensemble
était impressionnant. Un détail frappa Hamilcar : l’âge de ces hommes.
Certains étaient jeunes mais la plupart avaient trente-cinq ans, voire plus.
Ils avaient dû passer toute leur vie sous les armes, loin de leurs familles et
de leur cité. Aucun Carthaginois ne l’aurait accepté et c’est la raison pour
laquelle le Sénat avait recours à des mercenaires pour défendre la ville
d’Elissa. Rome agissait différemment. Elle s’appuyait sur ses citoyens et Hamilcar
ne put s’empêcher de frémir en s’en rendant compte. Oui, face à lui, se
dressait l’amorce d’une puissance nouvelle et redoutable qui tenterait de
renverser impitoyablement tout ce qui se trouverait sur son passage. Les bonnes
paroles du consul Appius Claudius lui revinrent en mémoire. L’homme avait
essayé d’endormir sa vigilance en mentant effrontément. Peut-être n’avait-il
pas le pouvoir de déclarer la guerre mais il la préparait bel et bien.
Des
trompettes sonnèrent. Les soldats cessèrent de manœuvrer et regagnèrent leurs
cantonnements où régna bientôt une fébrile agitation.
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