Hamilcar, Le lion des sables
de Romulus et de Remus, pour son Sénat et pour son peuple,
mais certainement pas pour préserver la fallacieuse douceur de l’existence sur
les bords du Tibre. Ce sont des balivernes. Nous sommes un peuple de rustres
mal dégrossis et nous avons beau donner à nos enfants et à nos petits-enfants
des précepteurs grecs, nous ne parviendrons jamais à apprécier et à savourer
les belles choses comme vous savez le faire, vous les Carthaginois. Nous
n’avons d’autre perspective que de mener une rude vie de paysans et de soldats,
abandonnant nos familles dès que le Sénat l’exige pour partir guerroyer au loin
et planter nos aigles et nos enseignes sur les terres que les dieux nous
concèdent. Vois-tu, Hamilcar, j’ai de grands domaines en Campanie où vivent ma
femme et mes enfants. J’aurais honte de me présenter devant eux si je ne
revenais pas vainqueur d’une campagne ou si j’avais, par mes fautes, porté
atteinte aux intérêts de Rome.
— Marcus
Atilius Regulus, tu me glaces le cœur d’effroi. Tu es un être affable et
courtois mais tu semblés avoir banni toute trace d’humanité en toi. J’ose
espérer que Rome n’est pas à ton image car, sinon, j’ai de sombres
pressentiments pour l’avenir.
— Hamilcar,
intervint Caïus Cornélius Scipion, visiblement embarrassé par le discours de
son ami et soucieux de créer une diversion, est-ce ton premier voyage en dehors
de ta terre natale ?
— Oui
et celle-ci me manque déjà. Mais je n’ai pas à me plaindre. J’ai encore
beaucoup à apprendre et il me tarde de me rendre dans nos colonies en Sicile.
— Je
te comprends. Moi aussi, c’est la première fois que je m’éloigne à plus de deux
jours de marche de Rome et j’ai l’impression de découvrir des réalités dont je
n’avais pas idée jusque-là. Puisque nous nous trouvons dans la même situation,
je te propose de sceller entre nous un pacte d’amitié et d’y associer, bien
qu’il soit déjà un homme d’expérience, Marcus Atilius Regulus. Jurons de nous
porter aide et secours en toutes circonstances. Pour ma part, je le jure par
Jupiter.
— Et
moi par Baal Hammon.
Un certain
temps s’écoula avant que le troisième convive daigne prendre la parole :
— Vous
êtes de jeunes chiens fous et vous avez agi sous le coup de l’émotion et du
vin. Si j’étais fidèle à mes devoirs d’officier, je vous délierais sur l’heure
de cette promesse ridicule. Toutefois, j’aime votre enthousiasme et votre
générosité. Elles me rappellent mes années de jeunesse. Aussi, je le jure moi
aussi, par les dieux lares de ma famille, l’illustre gens [23] Atilla.
***
Les trois
hommes se séparèrent sur ce serment. Au matin, Caïus Cornélius Scipion
raccompagna au port Hamilcar qui s’embarqua à bord de la trirème. Arrivé à
Messine, il se fit conduire chez Hannon qu’il trouva entouré des principaux
chefs mamertins.
— Hannon,
j’ai à te parler seul à seul.
— Mes
amis, ne vous éloignez pas. Je vous retrouverai dès que le jeune Hamilcar
m’aura fait son rapport.
Les
Mamertins, dont certains ne dissimulaient pas leur colère, quittèrent la pièce.
— Je
t’écoute, fils d’Adonibaal, dit Hannon.
— Je
me suis rendu à Rhêgion selon tes ordres et j’ai rencontré le consul Appius
Claudius.
— Quel
homme est-ce ?
— Un
être fourbe et dissimulateur. Il m’a abreuvé de bonnes paroles et a juré par
tous ses dieux qu’il ne préparait pas la guerre. Je devais le retrouver le soir
même car il m’avait invité à partager son hospitalité mais, au dernier moment,
il m’a fait dire qu’il était souffrant. Je n’ai pas cru un seul instant à ce
mensonge éhonté. En fait, il avait peur que je ne continue à l’interroger.
— Qui
t’a tenu compagnie ?
— Deux
officiers, tous deux fils de sénateurs. L’un était chaleureux, l’autre distant
et glacial. Je me demande si cela n’était pas intentionnel. Rome m’a offert
deux de ses visages. Le premier est celui qu’elle réserve à ceux qui se
soumettent à ses conditions, le second est celui qu’elle destine à ceux qui
osent braver son autorité.
— Devons-nous
craindre un débarquement de leurs légions ?
— C’est
une question de jours ou de semaines. Une chose m’a frappé à mon arrivée à
Rhêgion : le port était quasi désert : quelques navires de commerce
et des barques de pêcheurs. Mais les quais étaient couverts de cordages
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