Hamilcar, Le lion des sables
De
fait, deux mois plus tard, l’un de ses esclaves, qui avait tenu à accompagner
son maître dans son exil, revenait à Acragas et le tableau qu’il fit des
conditions de vie misérables de l’ancien magistrat tira des larmes aux plus
insensibles. Philippe en était réduit à se nourrir des restes qu’il dérobait
dans le camp romain. Appius Claudius, sur le point de quitter ses fonctions,
avait refusé de le recevoir et avait rétorqué à un officier qui plaidait en
faveur de l’infortuné citoyen d’Acragas : « Il a trahi sa patrie,
pourquoi ne trahirait-il pas Rome ? »
Hannibal
le prudent s’apprêtait à repartir pour Messine lorsqu’un soldat carthaginois, portant
sur son corps la trace de graves blessures, se présenta à l’entrée du camp et
demanda à être conduit auprès du commandant en chef :
— Hasdrubal,
j’ai peine à te reconnaître tant les épreuves que tu as subies t’ont défiguré.
Mon loyal ami, que s’est-il passé ?
— Nous
avons été trahis par le perfide Hiéron. À peine aviez-vous quitté la ville
qu’il s’est acoquiné avec les Romains après avoir reçu une délégation de
Mamertins venus demander les conditions d’une trêve. Hiéron a longtemps
tergiversé mais la venue d’un nouveau consul, Valerius Maximus, l’a décidé. Cet
impudent a écrasé les troupes syracusaines, mal commandées et auxquelles nous
avons tenté mais en vain de prêter main-forte. Le Romain était tellement fier,
à mauvais titre, de ces victoires inattendues qu’il se fit décerner le surnom
de Messala, de vainqueur de Messine.
— Es-tu
sûr de ce fait ?
— Oui.
Car c’est la première fois dans l’histoire de Rome que l’on donne à un général
le nom d’une victoire.
— Et
c’est de mauvais augure, murmura Hamilcar. À double titre. D’une part, c’est
une insulte aux soldats qui ont combattu à ses côtés et qui sont les vrais
artisans de son succès. D’autre part, ses pairs, justement jaloux de cet
honneur, vont tout faire pour l’imiter.
— Je
les imagine déjà supputant la localité dont le nom servira à composer leur
patronyme complet.
— Hamilcar,
tu as raison, mais laisse Hasdrubal poursuivre son récit.
— Constatant
que Rome avait balayé ses troupes, Hiéron a ouvert des négociations secrètes
avec Valerius Maximus. Les Romains se sont montrés plutôt bienveillants avec
lui. Ils lui ont proposé de conclure un traité de paix moyennant la livraison
de réserves de blé, des machines de guerre et le paiement d’une indemnité de
cent talents. La somme n’est pas négligeable mais Hiéron peut se réjouir de
s’en être tiré à moindres frais. La poursuite de la guerre lui aurait coûté
plus cher.
— Et
nos hommes ?
— Nous
avons été pris au piège comme des rats. Un matin, les Syracusains, accompagnés
de Romains, nous ont encerclés et désarmés. J’ai pu me dissimuler sous un tas
de fourrage, serrant les poings de rage en entendant les cris de mes compagnons
qu’on égorgeait. Les rares survivants ont été conduits à Rhêgion et, de là,
vendus comme esclaves sur les marchés de Campanie. Moi-même, après être demeuré
plusieurs jours dans ma cachette, j’ai encouru mille périls pour parvenir
jusqu’à toi afin de t’annoncer ces funestes nouvelles. Agis avec moi comme bon
te semble. Je ne mérite pas de vivre après pareil désastre et je ne redoute pas
le châtiment suprême. Il me permettra de rejoindre mes malheureux compagnons
d’infortune et d’expier ainsi la faute dont je me suis rendu coupable envers
notre cité.
— Hasdrubal,
un mort de plus ne ressuscitera pas nos soldats. Si tu estimes devoir racheter
tes fautes – et je me demande bien en quoi elles consistent –,
fais-le en servant Carthage. Tout le reste n’est que bavardage et tu me fais
perdre un temps précieux. Ne reviens me voir que lorsque tu auras repris tes
esprits. Pour l’instant, ta conduite est indigne d’un officier.
Dès qu’il
put se trouver seul à seul avec Hamilcar, Hannibal le prudent lui confia qu’il
regrettait son emportement envers Hasdrubal, un officier zélé et courageux. Il
s’était exprimé contre lui, faute de pouvoir dire ce que provoquait chez lui la
trahison de Hiéron. Celle-ci était une véritable catastrophe parce qu’elle
livrait aux Romains la moitié de l’île.
***
Hannibal
le prudent ne tarda pas à prendre de nouvelles dispositions. Il s’enferma avec
ses hommes
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