Hamilcar, Le lion des sables
nouvelles fonctions. Pour des raisons de
commodité – l’accès au port militaire était sévèrement
réglementé –, il s’installa dans un entrepôt du port marchand. Dès qu’un
navire était signalé et s’amarrait le long du quai, Juba et lui montaient à
bord pour l’inspecter et ils s’efforçaient de nouer des liens d’amitié avec son
capitaine. Souvent, ceux-ci, flattés d’avoir affaire à un fils de sénateur ou
désireux de se ménager des protections pour l’avenir, lui faisaient de longues
confidences. Hamilcar les invitait parfois dans sa résidence de Mégara et, là,
le vin l’aidait à délier la langue de ses interlocuteurs. Sa décision la plus
difficile à prendre fut d’envoyer Juba à Rome. Un soir, alors qu’ils s’étaient retirés
dans leur chambre et étaient allongés l’un contre l’autre, Hamilcar questionna
son ami :
— Juba,
nous sommes plus que des frères.
— Quelle
question stupide ! Tu sais que je t’aime.
— Mon
père nous le reproche assez.
— C’est
le privilège des jeunes et beaux garçons que d’être unis par une amitié qui n’a
rien de déshonorant. Je sais bien qu’un jour, tu préféreras à ma compagnie
celle des femmes et que mon père lui-même doit songer à l’épouse qu’il me
destine. Je m’en moque. Il me suffit pour l’heure d’être avec toi.
— Tu
sais que j’aime ta présence, Juba. J’ai pourtant un immense service à te
demander et il me brise le cœur. Car, si tu acceptes, nous serons séparés
pendant de longs mois.
— Quelle
est donc cette mission ?
— Aimes-tu
Carthage ?
— Que
puis-je te dire ? Mon père, lorsqu’il a été vaincu par vos troupes, a dû
fournir des otages au nombre desquels je figurais. J’ai été élevé avec toi
grâce à la générosité d’Adonibaal. Je ne suis pas carthaginois mais numide,
cependant je suis fidèle à Carthage parce qu’elle est ta cité et parce qu’elle
m’a comblé de bienfaits.
— Ton
peuple ne serait-il pas tenté de se révolter contre nous si les Romains leur
promettaient de l’aide ?
— Il
aurait de bonnes raisons de le faire car vous les écrasez de lourds impôts. Pourtant,
ils ne le feront pas.
— Pourquoi ?
— Parce
que vous ne cherchez pas à vous établir sur nos terres. Vous nous contrôlez,
vous nous surveillez et vous nous condamnez à vous payer d’énormes tributs.
Mais vous ne désirez pas étendre votre territoire et installer des villes et
des forteresses au-delà du vaste fossé que vous avez creusé pour délimiter la
fin de vos possessions. Epicide m’a beaucoup parlé des Romains et j’ai appris
de lui une chose : ceux-ci n’ont jamais cessé de créer des colonies et des
cités, dans le Latium puis en Campanie, pour y installer leurs vétérans et leur
trop-plein de population. S’ils prenaient par malheur pied sur ces rivages, ils
agiraient de même et nous repousseraient vers les montagnes. Voilà pourquoi mon
peuple vous préférera et vous demeurera fidèle.
— Juba,
mon ami, j’aime ta franchise et ton intelligence. Je sais maintenant, encore
plus qu’avant, que je puis avoir confiance en toi et que tu rempliras
scrupuleusement la mission que je vais te confier.
— Quelle
est-elle ?
— Tu
partiras pour la Gaule et, de là, tu gagneras Rome. Présente-toi à un fils de
sénateur – peut-être est-il déjà sénateur lui-même – Marcus
Atilius Regulus que j’ai jadis rencontré à Rhêgion. Dis-lui qui tu es et
raconte-lui que ton père, en tant que roi des Numides, t’a chargé de savoir à
quelles conditions Rome accepterait de l’aider à secouer le joug carthaginois.
Puis reviens le plus rapidement possible pour me faire ton rapport.
Le départ
de Juba fut plus dur à supporter que prévu par le fils d’Adonibaal. Pendant des
mois, Hamilcar eut du mal chaque soir à trouver le sommeil. Son compagnon lui
manquait et il était taraudé par la crainte de lui avoir peut-être fait une
confiance excessive. Un matin, on lui annonça l’arrivée d’un navire marchand en
provenance de Panormos. Il partit l’inspecter et eut la surprise d’apercevoir
Juba à l’avant du bateau qui pénétrait dans le port. Les deux hommes
s’étreignirent longuement au pied de la passerelle, puis gagnèrent l’entrepôt
où Hamilcar avait installé ses quartiers.
— Juba,
mon frère, quelle joie de te retrouver après une aussi longue absence !
— Moi
aussi, j’ai attendu ce
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