Hamilcar, Le lion des sables
ses compatriotes
et de leur caractère léger qu’il aimait tant. Il savait que ce peuple volage et
futile pouvait, le cas échéant, faire preuve de fermeté et de courage. Il
l’avait d’ailleurs démontré en restant obstinément fidèle à la langue et aux
traditions de Tyr, malgré l’éloignement et le temps écoulé depuis l’arrivée
d’Elissa sur ces rivages.
Le voyage
dura plusieurs semaines. Après avoir laissé sur leur gauche le Beau
Promontoire, les cavaliers prirent la route d’Hadrim, bien protégée par de
solides murailles. Ils firent halte dans cette ville, citadelle avancée de la
civilisation. Après, commençait l’inconnu. Un fossé profond marquait d’ailleurs
la fin du territoire contrôlé par Carthage et par ses alliés.
Comme l’on
était en plein milieu de la belle saison, la chaleur commença à devenir
rapidement insupportable. Pour ménager ses hommes et leurs montures, Hamilcar
décida que, désormais, ils marcheraient de nuit. Le jour, ils se reposeraient à
l’ombre des rochers ou des rares arbres qui poussaient sur ces étendues arides.
Quand ils chevauchaient dans l’obscurité, les cavaliers pouvaient voir, au
loin, sur la crête des montagnes, des feux s’allumer pour signaler leur
progression. Mais les villages qu’ils traversaient étaient tous vides. Ils
avaient été évacués à la hâte. Cette hostilité sourde, impalpable, rendit
certains Numides nerveux. Ils se tenaient constamment sur leurs gardes et, plus
d’une fois, Juba dut les empêcher de quitter la colonne pour s’aventurer dans
les montagnes afin d’y faire quelques prisonniers.
Un matin,
Hamilcar entrevit au loin, se détachant sur la mer, l’île des Lotophages. Dans
le creux d’un golfe calme et paisible, ils découvrirent un village de pêcheurs
dont les habitants ne s’enfuirent pas à leur approche. Intrigué par leur
comportement, Juba demanda à un interprète de le conduire, lui et son ami,
auprès du chef local, un vieillard à la peau parcheminée et à l’œil malicieux.
Hamilcar le questionna :
— Tu
es sans doute trop vieux pour avoir peur de la mort et je comprends que tu sois
resté dans ta maison. Mais tous vos voisins s’enfuient dès qu’ils nous
aperçoivent. Pourquoi n’agissez-vous pas comme eux ?
— Il
n’appartient pas à l’homme de décider de son sort. C’est là le privilège de
l’Éternel, béni soit-Il. Je ne veux pas calomnier nos voisins qui sont de
braves gens.
Leurs
ancêtres ont accueilli les miens amicalement et leur ont permis de trouver ici
un refuge. Peut-être ont-ils de bonnes raisons d’agir comme ils le font.
J’ignore tout des querelles entre vos deux peuples. Nous, nous ne nous mêlons
pas de ces choses-là. Si Dieu a choisi ce jour pour qu’il soit celui de notre
mort, qu’il en soit fait selon Sa volonté !
Le
vieillard se détourna un instant pour parler à une petite fille qui avait
grimpé sur ses genoux. En l’écoutant, Hamilcar fut frappé d’étonnement :
l’homme parlait une langue étrange. Ce n’était pas du punique mais cela y
ressemblait fortement. En observant les autres habitants du village, il
s’aperçut que ceux-ci ne ressemblaient pas aux Numides ou aux autres tribus de
la contrée. Par contre, s’il les avait rencontrés près du temple d’Eshmoun, il
n’aurait pas fait attention à eux tant ils avaient le type carthaginois, en
tout cas oriental. Peut-être étaient-ils les descendants de colons phéniciens
naufragés sur ces côtes et demeurés oubliés de tous ? Le fils d’Adonibaal
voulut en avoir le cœur net.
— Vieillard,
tu parles une langue proche de la mienne. Serais-tu originaire de Tyr ou de
Sidon ?
— Non,
je viens du pays de Canaan, mais je connais le nom des deux cités que tu as
mentionnées. Nos rois furent jadis alliés.
— Tu
n’es pas phénicien ?
— Non,
ne t’en déplaise ! Moi et les miens appartenons à la maison d’Israël qui
craint et révère le Dieu unique, le Dieu de nos pères Abraham, Isaac et Jacob.
— Je
ne comprends rien à ce que tu racontes. Vous n’avez qu’un seul dieu. C’est
impossible.
— Nous
avons un seul Dieu car il n’en existe pas d’autres.
— Vous
devez vous sentir bien seuls et mal protégés car il faut au moins une divinité
pour chaque chose. Peu importe, c’est ton problème et je ne suis pas venu ici
pour discuter de tels sujets. Sais-tu comment je puis me rendre dans l’île
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