Hannibal, Sous les remparts de Rome
été plus nombreux que les vôtres.
— Tu
parles de paix car mes armées campent sous les murs de Carthage.
— Les
miennes auraient pu faire de même devant Rome, tu le sais bien.
— Cela
ne s’est pas fait et tes généraux te l’ont assez reproché.
— Je
comprends ta réaction. Par amour-propre, tu peux préférer la victoire à la
paix. Tu es jeune et je suis vieux. Aussi je vais te parler au nom de mon
expérience. Sache que, si les dieux laissaient aux hommes leur lucidité dans le
bonheur, ceux-ci devraient tenir compte non seulement du passé, mais aussi des
incertitudes de l’avenir. Plus on approche de la félicité absolue, plus l’on
doit se méfier du sort. Actuellement, votre situation est bonne, la nôtre
difficile ; la paix, pour toi qui nous la donnes, est noble et généreuse,
pour nous qui la demandons, plus nécessaire que glorieuse. Une paix assurée est
un bien plus précieux et plus stable que l’espoir de remporter la
victoire ; l’une nous appartient, l’autre appartient aux dieux.
— Tu
sollicites la paix et tu agis en patriote soucieux des intérêts de ta ville.
Quel prix es-tu prêt à payer pour l’obtenir ?
— Tu
me demandes de prononcer moi-même le châtiment qui s’abattra sur Carthage. Tu
verras que je sais me montrer sévère envers les miens. Je puis te garantir que
nous renoncerons à tous les territoires que nous possédions jadis hors
d’Afrique et que nous vous laisserons la totale maîtrise de la grande mer.
— Qui
peut m’assurer que tu tiendras parole, toi qu’on accuse d’être un maître en
perfidie ?
— Ma
personne répond de mes paroles. Jusqu’ici, vous avez discuté avec Hannon le
grand et Hasdrubal le chevreau qui n’ont pas l’autorité nécessaire pour imposer
à mes compatriotes les sacrifices que je viens de te décrire. Moi, je le peux,
parce que j’ai remporté tant de victoires qu’on ne pourra pas me soupçonner
d’agir par peur ou par lâcheté. À toi donc de décider s’il est encore utile de
nous affronter.
— J’aurais
voulu te donner satisfaction mais il est trop tard pour le faire. Je n’ai aucun
intérêt à te ménager et crois que je le regrette. Demain, nos troupes se
battront et les dieux décideront à qui reviendra la victoire. Au vaincu, quel
qu’il soit, je souhaite une mort glorieuse à la tête de ses armées. Au
vainqueur reviendra alors la lourde tâche de savoir faire preuve de générosité
envers ses adversaires infortunés. Je sais que toi et moi nous agirons en êtres
humains et que celui qui aura remporté la bataille saura faire preuve de
clémence envers l’autre. Terminons ici cet entretien car nous n’avons plus rien
à nous dire.
— J’aurais
eu une faveur à te demander. Masinissa se trouve dans ton camp. J’ai grandi à
ses côtés et je l’aimais, je l’aime toujours, comme un frère, même s’il a
choisi, pour des raisons que je comprends, de s’allier à Rome après que
Carthage a fait preuve d’une noire ingratitude à son égard. J’aurais voulu le
saluer.
— J’avais
prévu cette demande et j’ai longuement insisté pour qu’il se joigne à nous. Je
n’ai pu le convaincre de renoncer à son refus de te voir et j’en suis le
premier désolé.
— Sa
décision me peine mais je me console en pensant que tu as eu la loyauté de ne
pas t’opposer à une rencontre entre nous deux. Fais-lui savoir qu’il reste mon
ami et que je lui souhaite d’obtenir de toi ce que la cité d’Elissa a eu la
bêtise de lui refuser.
Les deux
généraux regagnèrent leurs camps respectifs et tardèrent à rendre compte à
leurs officiers de leur entrevue. En fin de journée, ils se décidèrent à
rassembler leurs hommes pour les haranguer. Hannibal expliqua à ses soldats
qu’ils n’avaient rien à craindre. Ils étaient en nombre supérieur à celui des
Romains et ils avaient en face d’eux deux légions exilées pendant dix ans en
Sicile pour avoir été défaites à Cannae. Une fois de plus, ces vétérans
connaîtraient l’amertume de la déroute. En passant parmi les mercenaires, le
général borgne prenait soin d’adresser la parole à des frondeurs baléares ou à
des fantassins ligures pour leur rappeler les actes d’héroïsme dont ils avaient
été les auteurs. Flattés, ils promettaient de faire honneur à leur réputation.
Scipion,
lui, se conduisait autrement. Il informa ses troupes que son adversaire lui avait
demandé de conclure une paix
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