Hannibal, Sous les remparts de Rome
vigoureux, habiles à manier de lourdes et longues épées ou de
pesantes haches. L’infanterie lourde comptait en ses rangs des Libo-phéniciens
venus d’Afrique, équipés comme les hoplites grecs d’un casque à panache, d’une
lance, d’une épée et d’un bouclier rond, le corps protégé par des jambières et
une cuirasse fabriquée dans les arsenaux de Carthagène. Quant aux montagnards
ibères servant à leurs côtés, ils étaient identifiables à leur cotte de
mailles, à leur sabre recourbé et à leur imposant bouclier rectangulaire
derrière lequel ils prétendaient être invincibles.
Hannibal
n’avait négligé aucune précaution avant de se mettre en marche. Il s’était
rendu dans le sanctuaire de Melqart à Gadès, là où Azerbaal le prêtre lui avait
jadis prédit un brillant avenir. Sur la route du retour, il avait un soir
festoyé en compagnie de ses officiers et dérogé à ses habitudes en buvant plus
que de raison. Durant la nuit agitée qui suivit, il vit en rêve lui apparaître
un jeune dieu chargé de l’accompagner jusqu’en Italie. Dans son songe, le fils
d’Hamilcar se vit suivre ce messager de Melqart qui lui avait intimé l’ordre de
ne pas regarder autour de lui et de ne pas se retourner. Tel Orphée, le jeune
général ne tarda pas à désobéir à cette injonction et se trouva – du
moins c’était ce qu’il se rappelait – face à un dragon détruisant sur
son passage les arbres et la végétation cependant que le tonnerre rugissait et
qu’une pluie abondante tombait d’un ciel zébré par des éclairs menaçants. Quand
il interrogea Sosylos sur la signification de ce cauchemar, son précepteur le
rassura. Non, ce n’était pas une répétition de l’aventure arrivée à Orphée
après sa descente aux enfers pour y chercher la belle Eurydice. Le dragon
symbolisait l’armée carthaginoise et sa furie destructrice les ravages que
celle-ci porterait à l’insolente puissance romaine. Hannibal en éprouva une
joie intense et, dans son impétuosité, demanda sur-le-champ à Sosylos de
l’accompagner pour écrire, au jour le jour, le récit de ses exploits. Prudent,
le précepteur ne déclina pas la proposition de suivre son élève mais,
s’agissant de la rédaction du texte suggéré, préféra confier cette tâche à l’un
de ses compatriotes, Silénos, un transfuge de Massalia venu offrir ses services
au maître de Carthagène.
Le fils
d’Hamilcar accéda à cette requête mais voulut, au préalable, rencontrer le
futur chroniqueur de ses exploits. L’homme se présenta au palais de Carthagène
où il fut reçu en audience. Il était jeune, parlait grec et punique couramment.
Il avait la mine avenante et l’air malicieux, avec une pointe d’insolence dans
la voix. Hannibal l’observa longuement, puis lui dit :
— Ainsi,
tu t’es proposé pour écrire l’histoire de mon expédition.
— Ta
renommée s’est étendue jusqu’à ma ville natale où je me sentais à l’étroit. Mes
compatriotes sont des commerçants uniquement préoccupés par l’accroissement de
leurs gains, et écrire des poèmes à la gloire de marchands d’huile et de vin
n’a rien de très glorieux.
— Carthage
compte beaucoup d’individus de ce genre. Tu ne risques pas de gagner au change.
— Peut-être
mais tu es différent de tes compatriotes tout comme l’était ton père. Tes
exploits en Ibérie indiquent que tu as l’étoffe d’un grand capitaine comme il
en apparaît un ou deux par génération. Aussi est-ce là une chance que je ne veux
point laisser échapper.
— Aimes-tu
la vérité ?
— C’est
un terme que j’ai banni de mon langage. Les hommes ont besoin de légendes et de
hauts faits. Il faut satisfaire leur goût pour cela, en trichant parfois avec
la réalité.
— C’est
précisément ce que je t’interdis de faire. Je veux que tu consignes
scrupuleusement le moindre détail de mon expédition, en n’omettant jamais de
signaler mes faiblesses et mes erreurs.
— Tout
dépend de la manière dont on les présente.
— Je
vois que tu sauras tourner les difficultés. Je t’attache à mon état-major et tu
me suivras partout où j’irai. Autant te prévenir : ce ne sera pas une
partie de plaisir et ne t’imagine pas que tu vivras dans des conditions
luxueuses. Il est même possible que tu sois obligé de te battre les armes à la
main.
— Je
préfère le stylet ou le calame mais je saurais me montrer à la hauteur
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