Hannibal, Sous les remparts de Rome
frappant leurs boucliers avec leurs épées. Ibères et
Baléares entonnèrent des chants martiaux. Les cavaliers, eux, se séparèrent en
petits groupes et improvisèrent des simulacres de charges. Une pagaille fébrile
s’empara de toute la troupe et le fils d’Hamilcar laissa faire. Il s’était
assuré que ses unités d’élite avaient été disposées en sentinelles à quelques
stades de là pour prévenir toute attaque ennemie. La précaution était inutile.
Informé par l’un de ses espions des propos tenus par le chef carthaginois,
Publius Cornélius Scipion avait précipitamment quitté son camp aux alentours de
Massalia et s’était embarqué pour la Ligurie. Toutefois, une partie de ses
hommes fut dirigée, sous le commandement de son frère Cnaeus, vers l’Ibérie
avec pour mission d’assiéger les garnisons carthaginoises confiées par son aîné
à la garde d’Hasdrubal le jeune.
Après
quelques jours de repos, Hannibal se remit en route, pénétrant dans le
territoire des Allobroges alors en proie à une guerre civile larvée. Celle-ci
opposait leur souverain, Braénus, à l’un de ses frères. Ayant écouté chacune
des parties en cause, le fils d’Hamilcar se prononça en faveur du premier, non
pas parce qu’il était l’héritier légitime du trône, mais parce qu’il vouait aux
Romains une haine inexpiable. Il n’eut qu’à se féliciter de cette décision car
le roi des Allobroges lui fournit des vivres en abondance ainsi que des
centaines de pelisses en fourrure pour ses soldats. C’était là un cadeau
approprié. L’on était déjà au mois d’octobre et les premières neiges avaient
commencé à tomber sur les hauteurs, recouvrant le sol d’un mince tapis blanc.
Braénus
mit aussi à la disposition du général punique des guides réputés connaître les
défilés et entretenir des relations amicales avec les tribus montagnardes,
elles aussi allobroges, mais qui ne reconnaissaient pas son autorité. Sous une
pluie glaciale d’automne, l’immense colonne se mit en route, longeant un fleuve
aux eaux tumultueuses. La cavalerie et les éléphants marchaient en tête, suivis
par les chariots de bagages et par l’infanterie lourde. Çà et là, on apercevait
quelques villages, en fait de misérables maisons de pierre d’où s’échappaient
de minuscules volutes de fumée. Trempés jusqu’aux os, pataugeant dans la boue,
les soldats avançaient sans dire un mot, attendant avec impatience la halte du
soir pour dresser des huttes de feuillage. Par chance, la pluie cessa
lorsqu’ils commencèrent à escalader les premières pentes déjà enneigées. Devant
eux s’étendait un paysage désolé et sauvage, où l’on pouvait distinguer,
nichées sur des pitons, des cabanes sordides. Là, hommes et bêtes vivaient dans
la pire des promiscuités. Vêtus de grossières peaux de bête, les habitants,
d’une saleté repoussante, affligés souvent de difformités monstrueuses,
prenaient la fuite dès qu’ils apercevaient les soldats. Ils refusaient le
moindre contact avec les guides gaulois envoyés à leur rencontre par Hannibal.
Après deux
journées de marche, l’armée arriva à l’entrée d’un défilé et fit halte pour la
nuit. Tandis que les hommes préparaient les bivouacs, le général réunit sous sa
tente ses principaux officiers pour décider de la conduite à tenir. Selon les
informations rapportées par les éclaireurs, l’étroite route traversant la passe
était bordée d’un côté par la montagne, de l’autre par des ravins et des précipices.
Les montagnards, perchés sur les hauteurs, pouvaient à tout moment faire rouler
des blocs de pierre et désorganiser la progression de la colonne. Il fallait
donc impérativement soit négocier avec eux leur collaboration, soit leur
infliger une défaite cuisante. Les pourparlers engagés le lendemain se
soldèrent par un échec. Les guerriers acheminés jusqu’au camp par les guides
gaulois avaient dédaigneusement refusé l’or et l’argent qu’on leur offrait. Ils
quittaient rarement leurs repaires et produisaient tout ce dont ils avaient
besoin. Ils n’avaient que faire de ces richesses et expliquèrent, par le
truchement des interprètes, à Hannibal que lui et les siens devaient rebrousser
chemin. S’ils réussissaient à franchir le défilé, c’en était fini de la vie
rude et simple que menaient ces populations primitives, plus proches de la bête
que de l’homme. Après les soldats, viendraient
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