Hannibal, Sous les remparts de Rome
maîtriser ses sanglots. Nul n’osa s’approcher de
lui pour le réconforter. Après un long moment, il se releva, prit dans ses bras
l’urne et traversa le camp pour regagner sa tente. Durant huit jours, il ne
réapparut pas en public.
Un matin,
on le vit rejoindre sa place lors de la réunion de l’état-major. Au regard
qu’il leur lança, ses officiers comprirent qu’il serait inutile de lui
présenter leurs condoléances. À la fin de la réunion, il prit à part
Maharbal :
— Avec
Imilcé, j’ai perdu ce qui m’était le plus cher au monde et, plus d’une fois,
j’ai songé à mettre fin à mes jours. Désormais, je n’aurai plus qu’un seul
but : la venger en réduisant Rome en cendres. Inutile de chercher à calmer
ma douleur en me présentant une courtisane. Par respect pour sa mémoire, je
m’interdis à tout jamais les plaisirs de la chair. Voilà ce que j’avais à te
dire.
***
Après la
chute de Carthagène, Magon et les deux Hasdrubal se réunirent à Gadès avec leurs
états-majors respectifs pour décider d’une contre-offensive. L’entrevue fut
houleuse car le fils de Giscon était décidé à saper l’autorité de ses collègues
et accabla les deux frères de cinglants reproches :
— Votre
orgueil, leur dit-il, vous a poussés à vous croire invincibles comme l’est
Hannibal. Par votre faute, nous avons perdu notre principale base sur cette
terre et les chefs ibères se détournent de notre alliance pour se ranger aux
côtés de Rome.
— Comment
oses-tu proférer pareille accusation ? tonna Magon. Tu n’as élevé aucune
objection lorsque nous avons décidé de partir en expédition en laissant dans la
ville un millier d’hommes commandés par l’un de tes amis. Nous serions en droit
de soupçonner que ce maudit Bostar n’a pas été choisi par hasard et que tu
pourrais être son complice. Aussi, prends soin de mesurer tes propos si tu ne
veux pas que je te les fasse rentrer dans la gorge !
— A
votre place, j’aurais honte de me quereller de la sorte, rugit Masinissa, le
frère cadet de Juba, l’ami d’Hamilcar, qui servait depuis des années dans les
rangs carthaginois. Vous vous déchirez alors que vous devriez consacrer toutes
vos forces à repousser l’ennemi.
— Je
n’ai pas besoin des conseils d’un étranger dont les ancêtres ont été jadis
battus par les nôtres, grogna Hasdrubal fils de Giscon.
Masinissa
brandit son glaive en direction du général punique mais Magon s’interposa entre
eux et calma son ami :
— Je
comprends ta colère. Tu es un allié loyal et ton interlocuteur t’a offensé
gravement. Je puis t’assurer qu’il regrette ses paroles et qu’il te prie de les
oublier. N’est-ce pas, Hasdrubal ?
— Oui,
murmura d’un ton bougon ce dernier.
— J’accepte
ses excuses, dit Masinissa, mais je n’oublie pas les termes qu’il a utilisés
pour calomnier les miens. Le jour venu, je saurai m’en souvenir. Il est temps,
grand temps, que, vous, Carthaginois, preniez conscience que, sans l’aide des
Numides, vous ne pourrez vous maintenir en Afrique. Renoncez donc à votre
arrogance insupportable, faute de quoi vous vous aliénerez vos amis les plus
fidèles.
— L’incident
est clos, conclut Magon. Masinissa a raison : plutôt que de nous
quereller, il convient de définir une stratégie. Que suggérez-vous ?
— Il
faut, dit son frère Hasdrubal, reprendre l’offensive. Pour cela, je me propose
de partir avec mon armée pour la Gaule cisalpine, traverser l’Italie et opérer
ma jonction avec Hannibal. Nous remonterons en direction de Rome et celle-ci,
pour se protéger, devra rappeler une partie des légions de Scipion. Pendant ce
temps, toi, Magon, tu passeras aux Baléares recruter quelques milliers de
mercenaires. Quant au fils de Giscon, appuyé par Masinissa, il harcèlera les
Romains et leurs alliés par des coups de main audacieux.
Pour
soulager ses frères, Hannibal se décida à repartir en campagne dans le sud de
la péninsule italienne. Il avait pour adversaires les deux nouveaux consuls,
Marcus Claudius Marcellus et Titus Quinctius Crispinus. C’étaient des
magistrats expérimentés mais dévorés par l’ambition. Ils rêvaient de prendre
leur revanche sur le chef punique et, contrairement à l’usage, décidèrent
d’unir leurs forces. Leurs légions, après avoir ramené le calme en Etrurie,
firent leur jonction à Bantia [58] en Apulie. Là, ils édifièrent un camp à
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