Hannibal, Sous les remparts de Rome
son corps.
Un légionnaire s’approcha de lui et lui trancha la tête qu’il planta sur la
pointe de son épée et présenta à ses compagnons en hurlant comme un possédé.
Quand le
soir tomba, plus de vingt mille Carthaginois avaient trouvé la mort et quatre
mille cinq cents autres avaient préféré se rendre. Du côté romain, on déplorait
la perte de deux mille hommes, compensée par la remise en liberté de quatre
mille captifs immédiatement incorporés dans les légions consulaires. En
parcourant le champ de bataille, les deux consuls constatèrent que les eaux du
Métaure étaient rouges de sang. Ce spectacle frappa à tel point leur
sensibilité qu’ils ordonnèrent à leurs avant-gardes de ne pas poursuivre les Gaulois
et les Ligures qui tentaient de repartir vers le nord. À ses officiers qui le
pressaient de les faire tailler en pièces par deux escadrons de cavalerie,
Marcus Livius Salinator répondit d’un ton las et empreint de pitié :
« Mieux vaut les épargner. Il faut qu’il reste quelques survivants pour
faire connaître le désastre des ennemis et nos victoires. » À Rome, des
fêtes grandioses furent organisées pour célébrer l’événement.
Hannibal,
lui, fut prévenu d’une atroce manière. Marcus Claudius Marcellus fit porter la
tête d’Hasdrubal au camp de son frère par deux prisonniers auxquels il rendit
leur liberté. Quand le fils d’Hamilcar contempla ce qui restait de son frère
cadet, il parvint difficilement à maîtriser son émotion. Il n’assista pas à ses
funérailles et demeura prostré sous sa tente pendant plusieurs jours. A l’issue
de cette période, Maharbal s’enhardit à lui rendre visite et son chef, la voix
tremblante d’émotion, lui dit dans un murmure :
— Après
Imilcé, c’est au tour de mon frère cadet de périr pour Carthage qui ne lui en
vouera aucune reconnaissance et oubliera bientôt jusqu’à son nom. Je puis te le
confier, à toi, mon seul ami, j’ai le sentiment que pèse sur ma famille une
mystérieuse malédiction. Melqart a cessé de nous protéger et c’est un mauvais
signe pour la suite de cette guerre.
— Comment
peux-tu croire à ces sornettes ? Tes ennemis te reprochent ton impiété et,
même si je sais le culte que tu rends à nos principales divinités, tes maîtres
Epicide et Sosylos t’ont appris la primauté de la raison. Tu as toujours su
faire taire tes sentiments et brider tes passions quand la situation
l’exigeait. Aussi, je te conjure de te ressaisir et de sauver notre armée du
désastre. Nous devons nous replier dans l’extrême pointe du Bruttium et, de là,
envoyer à Carthage des émissaires afin d’obtenir de toute urgence des renforts.
Quand ils seront arrivés, nous pourrons repartir au combat et venger la mort de
ton frère. Crois-tu que ce dernier accepterait de te voir réduit au désespoir
et à l’inaction ? Conduis-toi comme il aurait aimé que tu le fasses. C’est
le plus bel hommage que tu puisses lui rendre.
— Merci
de me redonner courage. Ordonne à nos troupes de se préparer au départ.
***
Alors
qu’Hasdrubal et Hannibal affrontaient les Romains en Italie, leur frère Magon
devait contenir l’avancée irrésistible des légions de Publius Cornélius
Scipion. Certes, Carthage lui avait envoyé des renforts. Mais ils étaient
commandés par un jeune officier inexpérimenté nommé Hannon qui, quelques
semaines après son arrivée, fut fait prisonnier par Silanus. Magon dut se
replier à la hâte sur Gadès où il retrouva son rival, Hasdrubal, fils de
Giscon. Les deux généraux décidèrent d’hiverner sur place et de recruter de
nouveaux mercenaires. Bientôt, ils purent disposer de cinquante mille
fantassins et de deux mille cinq cents cavaliers, bien décidés à défendre coûte
que coûte les derniers territoires contrôlés par Carthage dans cette région.
Avec ses
quatre légions, Publius Cornélius Scipion se trouvait en situation d’infériorité
numérique mais reçut l’aide inespérée d’un prince ibère, Culchas, dont les
contingents lui permirent de porter les effectifs de ses armées à quarante-cinq
mille fantassins et à trois mille cavaliers.
Au
printemps, Carthaginois et Romains décidèrent d’en découdre près d’Ilipa [60] .
Magon et Masinissa prirent l’initiative de déclencher les opérations en
attaquant avec la cavalerie les premiers éléments romains occupés à construire
un camp retranché. Ils durent toutefois se
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