Hannibal, Sous les remparts de Rome
otages. En fait, les vivres venant à manquer, il
ne voulait pas s’embarrasser de bouches inutiles et sa flotte partit pour
Minorque où il hiverna.
Durant la
mauvaise saison, il veilla à ce que ses soldats alternent périodes de repos et
de manœuvres. Dès qu’il le put, il envoya deux navires, l’un à Carthage,
l’autre dans le Bruttium, pour solliciter les ordres du Conseil des Cent Quatre
et d’Hannibal. Dans la cité d’Elissa, son émissaire fut plutôt bien accueilli.
Magon était en effet le seul Barcide à avoir effectué de fréquents séjours dans
sa patrie et à ne pas manifester envers ses dirigeants la défiance hautaine
dont ses frères usaient à leur égard. Aussi comptait-il de nombreux partisans
au Sénat et le plus farouche ennemi des Barca, Hannon le grand, ne tarissait
pas d’éloges à son sujet. Il obtint donc sans trop de difficulté les renforts
qu’il demandait et reçut en outre de grandes quantités de grains et de
fourrage. Ce qu’il ignora jusqu’au bout toutefois, c’était que ces vivres
avaient été réquisitionnés dans les vastes domaines appartenant à sa famille.
Carthage, lorsqu’elle était contrainte à un acte de générosité, ne pouvait
s’empêcher de gâcher celui-ci par un zeste de mesquinerie.
Hannibal
reçut l’envoyé de son frère avec joie. Il n’avait pas revu Magon depuis des
années et c’était désormais le seul membre survivant de sa lignée. Il lui
écrivit une longue lettre pour lui décrire sa situation et lui demander de
tenter un débarquement en Gaule cisalpine afin de desserrer l’étau des légions
qui le réduisait à tenir quelques garnisons dans le Bruttium. Il avait les plus
grandes difficultés à maintenir la discipline dans les rangs de son armée.
Installés en Sicile, les Romains et leur flotte étaient les maîtres incontestés
de la grande mer et avaient, à plusieurs reprises, intercepté des convois de
ravitaillement en provenance de Carthage.
Ayant
établi son camp au cap Lacinon, à une centaine de stades de Crotone, une cité
grecque qui s’enorgueillissait d’avoir jadis hébergé Pythagore, il avait le
plus grand mal à réunir les sommes nécessaires au versement régulier des soldes.
A la grande fureur des agents du Trésor carthaginois, il s’était refusé à une
solution de facilité qui lui aurait fait commettre un sacrilège. Près de ses
positions, se trouvait en effet le temple d’Héra dont les prêtres avaient
accumulé, au fil des siècles, d’énormes richesses. Le sanctuaire abritait en
particulier une haute colonne d’or massif qui excita la convoitise du chef
punique. Guidé par un prêtre auquel il avait promis une forte récompense,
Hannibal pénétra nuitamment dans l’enceinte du temple et fit gratter par des
vétérans la partie inférieure de cette merveille pour savoir si elle était
réellement faite uniquement d’or ou simplement recouverte de fines plaques du
métal précieux. À sa grande stupeur, il constata que les fidèles de la déesse n’avaient
pas lésiné sur la dépense. La colonne était un gigantesque bloc d’or massif.
Revenu sous sa tente, il s’était endormi mais son sommeil avait été troublé par
un affreux cauchemar. Héra lui était apparue en songe et l’avait menacé de le
priver de l’usage de l’œil qui lui restait s’il menait à bien son projet.
Effrayé, il avait fait confectionner avec les fragments prélevés dans le temple
une statuette et avait offert plusieurs sacrifices expiatoires. Bien plus, pour
prouver sa piété, il avait ordonné à Silénos de composer, en grec et en
punique, un texte relatant ses exploits qu’il fit graver sur un autel de bronze
déposé dans le sanctuaire lors d’une cérémonie privée.
Réduit à
l’inaction, Hannibal vivait dans l’attente du débarquement de son frère. Pour
barrer la route à ce dernier, les Romains avaient rassemblé deux flottes, l’une
à Carthagène, l’autre à Massalia. Ils pensaient que Magon débarquerait en Gaule
transalpine et tenterait de renouveler l’exploit de ses frères en franchissant
les Alpes. Averti de ces préparatifs, l’intéressé décida de rallier directement
les côtes ligures à partir de Minorque au début de la bonne saison. Aucun
amiral n’aurait osé tenter pareil exploit car, à cette époque de l’année, les
tempêtes n’étaient pas rares et pouvaient provoquer le naufrage de toute la
flotte. Le frère d’Hannibal passa outre et débarqua
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