Hannibal, Sous les remparts de Rome
se débarrasser de leur
équipement pour ne pas se laisser ralentir. Il savait que l’ennemi n’était pas
parti à sa poursuite. Certes, il avait perdu près de cinq mille hommes et tous
ses éléphants mais les Romains avaient été durement éprouvés. Trois tribuns
militaires, Marcus Cosconius, Marcus Maevius et Gaïus Helvius, avaient été tués
de même que vingt-deux chevaliers, reconnaissables à l’anneau d’or qu’ils
portaient au doigt. Deux mille cinq cents légionnaires avaient également trouvé
la mort et leurs chefs jugèrent préférable de permettre aux survivants de se
regrouper et de prendre un repos bien mérité.
À Genua,
Magon trouva des émissaires récemment arrivés de Carthage qui lui ordonnèrent
de se rembarquer immédiatement pour regagner sa patrie. Quand il demanda les
raisons de cette décision, l’un des envoyés du Conseil des Cent Quatre lui
rétorqua d’un ton grave :
— N’es-tu
pas au courant du malheur qui nous arrive ?
— Voilà
deux ans que je suis sans nouvelles de vous.
— Publius
Cornélius Scipion a débarqué à proximité d’Utique et assiège cette ville. Sous
peu, ses troupes se trouveront sous les murs de Carthage. Aussi avons-nous
décidé de battre le rappel de toutes nos armées afin de repousser
l’envahisseur.
— Hannibal
a-t-il été prévenu ?
— Oui.
— Quelle
a été sa réaction ?
— Tu
connais mieux que moi ton frère et son orgueil démesuré. L’idée ne l’a même pas
effleuré qu’il puisse être responsable de ce désastre par les erreurs qu’il a
commises. Lorsque je lui ai transmis l’ordre du Conseil des Cent Quatre, il
s’est écrié en faisant allusion à mes vénérables collègues : « Ce
n’est donc plus indirectement, c’est ouvertement qu’ils me rappellent alors
que, depuis longtemps, ils font tout pour m’éloigner, en refusant de m’envoyer
des renforts et de l’argent. Non, Hannibal n’a pas été vaincu par le peuple
romain, si souvent taillé en pièces et mis en fuite, mais bien par la
mesquinerie et par la jalousie du Sénat de Carthage. Ce retour humiliant fera
moins plaisir à Scipion qu’à Hannon qui a écrasé notre maison sous les ruines
de Carthage, puisqu’il n’a pu y parvenir autrement. »
— Je
comprends que ces propos t’aient choqué. Toutefois, tu ne peux ignorer que
notre ville a en lui son meilleur général et qu’il préférerait mourir plutôt
que de voir l’ennemi fouler l’enceinte sacrée de Byrsa. Dès que nous serons à
nouveau réunis, j’aurai avec lui une franche explication et je lui conseillerai
de se réconcilier avec toi et Hannon car il y va de notre salut à tous. Nous ne
pouvons nous permettre de nous quereller alors que les Romains sont aux portes
de notre cité.
— Je
savais pouvoir compter sur toi et sur ta sagacité. Pour l’heure, prends un
repos bien mérité. Demain, nous embarquerons avec tes hommes à bord des navires
rassemblés par mes soins.
Magon ne
put rencontrer son frère comme il l’avait espéré. Au deuxième jour de la
traversée, il fut saisi d’un violent accent de fièvre contre lequel les
médecins se montrèrent impuissants. Ruisselant de sueur, il se tournait et se
retournait sur sa couche, refusant tout aliment et incapable d’avaler la
moindre goutte d’eau ou de vin. Bientôt, il commença à délirer et les officiers
qui le veillaient l’entendirent prononcer des bribes de phrases
incompréhensibles. Au petit matin, un long frisson secoua son corps qui retomba
inerte. Il avait rejoint Hasdrubal. Tout comme lui et comme son père, Hamilcar,
il était mort loin de Carthage, la cité à laquelle il avait consacré chaque
instant de sa vie. Ses soldats empêchèrent qu’on jette sa dépouille à la mer.
Dès l’arrivée du bateau à Carthage, Magon fut enterré dans la nécropole de
Mégara, non loin du vieux palais où il avait passé son enfance.
Le Conseil
des Cent Quatre décida de laisser Hannibal dans l’ignorance de la fin tragique
de son cadet qu’il aurait peut-être cherché à venger en menant des opérations
de représailles au cœur même de l’Italie. L’aîné des Barca se résigna donc à
évacuer le Bruttium et à regagner Carthage. Il fit construire par ses hommes
plusieurs dizaines de navires, puis rappela les troupes stationnées dans les
villes les plus éloignées de Crotone. Le plus dur restait à faire :
prévenir ses alliés italiens de son départ. Il savait que ces
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