Hannibal, Sous les remparts de Rome
Cornélius Scipion avait fait parvenir les trésors pris aux Carthaginois
dans leur repaire de Carthagène. Une délégation se rendit donc au sanctuaire
d’Apollon et fut autorisée à consulter les Livres sibyllins. On y trouva une
prophétie, jusque-là négligée, susceptible d’expliquer les étranges phénomènes
dont la cité de Romulus était le théâtre : « Le jour où un ennemi
d’une autre race aura porté la guerre sur le sol de l’Italie, on ne pourra l’en
chasser et le battre qu’à condition d’amener de Pessinonte à Rome, la mère des
dieux, déesse de l’Ida. » Outre ce texte, les envoyés eurent la surprise
de constater que les entrailles des nombreux animaux qu’ils avaient offerts en
sacrifice à Apollon Pythien étaient toutes favorables. L’oracle en avait conclu
que, sous peu, le peuple romain remporterait une victoire beaucoup plus
importante que celle en l’honneur de laquelle il avait offert au temple les
fabuleuses richesses amassées par les Carthaginois.
Au Sénat,
un débat particulièrement agité eut lieu pour savoir s’il convenait de faire
venir sur les bords du Tibre la pierre sacrée que les habitants de Pessinonte
en Phrygie considéraient comme représentant la Mère des dieux et qui était
conservée dans un sanctuaire, propriété d’Attale, roi de Pergame. Bon nombre de
Pères conscrits y étaient opposés. Farouchement attachés aux traditions, ils
étaient hostiles à l’introduction à Rome de cultes étrangers, grecs ou
orientaux, par crainte de voir les fidèles délaisser les sanctuaires des dieux
protecteurs de la cité et provoquer ainsi leur courroux. Néanmoins, sous la
pression de la plèbe, l’on décida d’envoyer en Phrygie une ambassade composée
de Marcus Valérius Laevinus, deux fois consul, Marcus Caecilis Métellus, ancien
préteur, Servius Servilius, ex-prêteur, ainsi que les questeurs Gnaeus
Trémellius Flaccus et Marcus Valérius Falto.
À Pergame,
Attale les accueillit chaleureusement et les conduisit lui-même à Pessinonte
pour leur remettre la pierre consacrée. Avant le départ de ses invités, il eut
un entretien avec Marcus Valérius Laevinus.
— Sache,
lui dit-il, que le don de cette statue signifie que je suis désormais votre
allié. À l’origine, j’étais partisan de ne pas donner suite à votre requête
mais mon fils, Eumène, m’a persuadé du contraire. Il estime que, bientôt, nous
devrons faire appel à vos légions pour nous protéger contre nos ennemis.
— Qui
oserait s’attaquer à un souverain aussi pacifique et aussi généreux que
toi ?
— J’ai
deux adversaires redoutables. Le premier est Philippe de Macédoine que tu
connais puisqu’il a jadis conclu avec Hannibal un traité. Le second est
Antiochos Séleucide. C’est un être dévoré par l’ambition et il rêve de
s’emparer de mon royaume ainsi que de la Grèce tout entière.
— Nous
ne le laisserons pas accomplir ce forfait. Quiconque attaquera Athènes, Sparte,
Chalcis ou les autres cités dont vos ancêtres sont venus il y a bien longtemps
menacera les intérêts de Rome et devra recevoir le châtiment qu’il mérite.
Quant à toi, ton geste généreux mérite une récompense et tu peux être assuré de
notre protection. Si un souverain étranger franchit les frontières de tes
Etats, il trouvera face à lui nos légions.
— Je
te remercie au nom de mon peuple. Je suis confus cependant de devoir t’annoncer
une nouvelle désagréable.
— Laquelle ?
— Je
lis sur ton visage l’inquiétude. Rassure-toi, il ne s’agit pas d’une
catastrophe, tout au plus d’une question d’étiquette qui pourrait te valoir
quelques légers désagréments. La coutume veut que, lorsqu’elle est prêtée à une
ville étrangère, la statue de la Mère des dieux soit accueillie par le citoyen
le plus illustre de cette cité. Il vous faudra donc choisir celui qui parmi
vous mérite le plus ce titre.
— Sois
assuré que nous respecterons scrupuleusement cette tradition. J’ai affronté
bien des périls durant ma vie et je crois que je parviendrai à convaincre mes
collègues de faire taire leur orgueil et de désigner celui qui nous semblera le
mieux incarner le génie de Rome.
A son
retour sur les bords du Tibre, l’ancien consul constata que sa tâche serait
infiniment plus difficile que prévu. Nombreux furent en effet les sénateurs ou
les membres d’illustres familles patriciennes à revendiquer pour chacun d’entre
eux
Weitere Kostenlose Bücher